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fortification passagère, n’avait rien imaginé de mieux que de rejeter du côté de l’ennemi les terres du fossé qu’il creusait. En rappelant ces faits, je n’ai nullement l’intention de critiquer à plaisir la société américaine. Quoi de plus naturel que d’ignorer un métier qu’on s’est cru dispensé d’apprendre? Nos officiers seraient assurément fort empruntés, si du jour au lendemain on les mettait derrière le comptoir d’un magasin de nouveautés. Ce fut le cas ou plutôt le cas contraire pour les états-majors américains au début de la guerre. J’ai hâte de dire qu’il n’en était plus de même six mois après; mais je regrette de ne pouvoir ajouter que le sens de la discipline avait suivi la même progression chez les soldats que l’instruction chez les officiers.

Une importante élection préoccupait alors New-York, celle du maire de la ville. Trois candidats étaient en présence. Le premier, M. Fernando Wood, alors en fonctions, cherchait à être réélu. Il représentait le parti conservateur, et à ce titre on savait que ses tendances le porteraient volontiers à admettre un accommodement avec le sud. En d’autres termes, on le savait plus ou moins sécessioniste, non pas ouvertement, à cette époque une semblable déclaration de principes n’eût été tolérée de personne à New-York, mais in petto. Son concurrent le plus redoutable était M. George Opdyke, comme lui sorti des rangs du peuple, ayant débuté par être garçon tailleur à la Nouvelle-Orléans et aujourd’hui quinze ou vingt fois millionnaire, l’un des princes de la finance américaine. M. Opdyke était présenté comme l’expression de la guerre à outrance et de l’abolition de l’esclavage, malgré ce qui pouvait manquer de franchise quelquefois à ses explications sur le dernier point. Il était particulièrement intraitable sur le maintien de l’Union. The Union must and it shall be preserved, avait dit le vieux général Scott, et ses paroles étaient la devise de ce parti, à qui un avenir rapproché réservait de si cruelles épreuves. Enfin le troisième candidat, M. Godfrey Gunther, était porté par le parti démocratique. Cette élection, toujours vivement débattue, devait l’être doublement en raison de la gravité des circonstances, car c’était un nom politique plutôt que celui d’un magistrat municipal que chacun entendait faire sortir de l’urne. Les aldermen et autres membres de l’édilité, nommés en même temps, pouvaient avoir une signification administrative; il n’en était rien pour le maire, et un journal, à ce sujet, rappelait même assez irrévérencieusement l’histoire du paysan qui, entré dans un salon de Curtius, voulait qu’on lui désignât Napoléon et Wellington. « Ce sera comme vous voudrez, lui répondit l’exhibiteur; du moment que vous avez payé, vous pouvez choisir. »

Pourtant il s’agissait moins ici de choisir que de combattre, et la