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y arriva le lendemain 23 juin, à dix heures du matin, sans l’avoir prévenue et pendant qu’elle était à déjeuner. Elle se leva précipitamment, et, allant à sa rencontre, elle fit un mouvement pour se jeter à genoux et lui baiser la main. Charles l’arrêta et la prit dans ses bras. « Sire, lui dit-elle d’une voix troublée, je suis venue dans ce pays de votre majesté pour y être à ses ordres, » et en achevant sa phrase elle fondit en larmes. Charles, touché, essuya tendrement ses larmes en l’embrassant et lui disant : « Je continuerai ainsi jusqu’à ce que vous ayez cessé de pleurer. » Elle se remit un peu de son trouble : « Vous n’êtes pas tombée, lui dit Charles, entre les mains d’étrangers et d’ennemis: Dieu, dans sa sagesse, a voulu que vous quittassiez vos parens pour vous attacher à votre mari; je ne serai pas plus votre maître que je ne l’étais naguère quand je vous recherchais comme votre serviteur. » Henriette-Marie, rassurée, le regarda en souriant, et entra bientôt avec lui en conversation familière. Elle avait une vivacité gracieuse, de grands yeux noirs tour à tour brillans et doux, de beaux cheveux noirs, un beau teint, de belles dents, le front, le nez et la bouche un peu grands, mais de forme élégante, l’air noble, spirituel et attrayant quand elle ne se livrait pas à ses mouvemens d’humeur hautaine et capricieuse. De tous les enfans de Henri IV, c’était elle qui lui ressemblait le plus. Elle plut à Charles, non sans l’étonner un peu; il la regardait avec une curiosité affectueuse; il la trouvait plus grande qu’on ne lui avait dit ; il porta les yeux vers ses pieds pour voir si elle n’était pas élevée sur des talons; elle le comprit, et lui montrant vivement ses souliers : « Non, sire, lui dit-elle, je ne suis que sur mes pieds; point d’artifice; c’est là ma taille, ni plus grande, ni plus petite. » Charles l’embrassa de nouveau. Ils quittèrent Douvres ce même jour, non sans quelques embarras déplaisans pour l’arrangement du cortège et la désignation des personnes qui devaient monter dans le carrosse royal; Charles était grave, susceptible et peu propre à mettre par sa décision une fin prompte aux prétentions et aux incertitudes. Parmi les dames françaises attachées à la reine, quelques-unes déplurent de ce moment au roi, entre autres Mme de Saint-George, qui avait été d’abord la gouvernante d’Henriette-Marie, ensuite sa dame d’honneur, et à qui l’on ne savait comment trouver, dans la cour d’Angleterre, le titre et le rang qu’elle réclamait. Charles pressentit que son intérieur ne serait ni aussi docile, ni aussi facile qu’il s’en était flatté. Le couple royal arriva à Cantorbéry, où il devait s’arrêter et passer la nuit. Le mariage y fut solennellement fêté. Le soir, à table, Charles servit lui-même la jeune reine; il coupa pour elle et lui offrit de la venaison et du faisan; c’était un jour maigre, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste ; le confesseur de la reine, le père Sancy, qui se tenait près d’elle, le lui rappela; elle n’en tint