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bonne grâce, dit sur ce sujet, en parlant de la reine, qu’elle pouvait répondre au roi de sa vertu, mais qu’elle n’en ferait pas autant de sa cruauté, et qu’elle soupçonnait ses yeux d’avoir regardé cet amant avec quelque pitié, »

Buckingham ne voulut pas en rester à cet adieu en plein air : les vents contraires retinrent plusieurs jours Henriette-Marie et sa suite à Boulogne; l’indisposition de Marie de Médicis la fit rester pendant ce temps à Amiens, et Anne d’Autriche avec elle. L’un des serviteurs de la reine Anne, Pierre de Laporte, avait sa confiance. « Comme la reine, dit-il, avait beaucoup d’amitié pour Mme de Chevreuse, elle avait bien de l’impatience d’avoir de ses nouvelles et surtout du sujet de leur retardement; la reine, tant pour cela que pour mander à Mme de Chevreuse ce qui se passait à Amiens et ce que l’on disait de l’aventure du jardin, m’envoya en poste à Boulogne, où j’allai, et revins continuellement tant que la reine d’Angleterre y séjourna. Je portais des lettres à Mme de Chevreuse et j’en rapportais des réponses qui paraissaient être de grande conséquence, parce que la reine avait commandé à M. le duc de Chaulnes de faire tenir les portes de la ville ouvertes à toutes les heures de la nuit, afin que rien ne me retardât. » Il est bien probable que l’impatience de la reine avait les nouvelles de Buckingham pour objet. Pour lui, il ne se contenta point de ce que Mme de Chevreuse pouvait écrire de lui et en son nom ; sous le prétexte d’informations importantes qui lui arrivaient d’Angleterre et qu’il devait transmettre à la cour de France, il partit de Boulogne avec son confident, lord Holland, et retourna à Amiens, fort inattendu d’Anne d’Autriche, selon Laporte, qui raconte qu’en apprenant son arrivée « elle fut surprise et dit à M. de Nogent-Bautrie, qui était dans sa chambre : — Encore revenus, Nogent! Je pensais que nous en étions délivrés. » Le récit de Mme de Motteville, plus vraisemblable en soi et qu’elle tenait d’Anne d’Autriche elle-même, est tout autre que celui de Laporte. « La reine, dit-elle, savait par des lettres de la duchesse de Chevreuse, qui accompagnait la reine d’Angleterre, que le duc de Buckingham était arrivé. Elle en parla devant Nogent en riant et ne s’étonna point quand elle le vit; mais elle fut surprise de ce que tout librement il vint se mettre à genoux devant son lit (où elle se tenait en ce moment, s’étant fait saigner ce jour-là), baisant son drap avec des transports si extraordinaires qu’il était aisé de voir que sa passion était violente et de celles qui ne laissent aucun usage de raison à ceux qui en sont touchés. La reine m’a fait l’honneur de me dire qu’elle en fut embarrassée, et cet embarras, mêlé de quelque dépit, fut cause qu’elle demeura longtemps sans lui parler. La comtesse de Lannoy, alors sa dame d’honneur, sage, vertueuse et âgée, qui était au chevet de son lit, ne voulant point souffrir que ce duc demeurât