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sa vie, dans ses façons d’agir, les mérites et les agrémens extérieurs qui saisissent l’imagination des femmes. On parlait beaucoup de sa générosité et du laisser-aller magnifique qu’il y portait; quand il se promenait dans les salons du Louvre ou de l’hôtel de Chevreuse revêtu de tel ou tel de ses riches costumes, il ne faisait nulle attention aux diamans qui s’en détachaient, et comme un jour on lui en rapporta un d’une grande valeur : «La fortune, dit-il, m’est toujours fidèle, ici comme dans mon pays, et même par la main des pages.» Il plut bientôt à la reine, dont il se montrait préoccupé avec une indiscrétion élégante. Déjà, deux ans auparavant, quand il avait traversé Paris avec le prince Charles, c’était surtout Anne d’Autriche dont la beauté les avait frappés l’un et l’autre. Elle était coquette « au souverain degré, » dit le cardinal de Retz, et « ne comprenait pas, dit Mme de Motteville, que la belle conversation, qui s’appelle ordinairement l’honnête galanterie, où on ne prend aucun engagement particulier, pût jamais être blâmable. » Elle avait pour intime confidente la duchesse de Chevreuse, passionnément éprise de lord Holland, le client favori de Buckingham, et charmée de servir le patron de son amant en attirant la reine dans une pareille passion. Personne ne prend plaisir et n’excelle à séduire comme une femme séduite elle-même. « Par les conseils de la duchesse de Chevreuse, ajoute Mme de Motteville, la reine ne put éviter, malgré la pureté de son âme, de se plaire aux agrémens de cette passion, dont elle recevait en elle-même quelque légère complaisance qui flattait plus sa gloire qu’elle ne choquait sa vertu. »

Le 2 juin, la nouvelle reine Henriette-Marie quitta Paris et s’achemina vers l’Angleterre. Le duc de Buckingham, les comtes de Carlisle et de Holland, le duc et la duchesse de Chevreuse étaient chargés de la conduire et de la remettre au roi son mari. Marie de Médicis, Anne d’Autriche et une grande partie de la cour l’accompagnèrent jusqu’à Amiens. Louis XIII, indisposé, s’arrêta à Compiègne. Le voyage se fit lentement. Le 7 juin, à trois quarts de lieue d’Amiens, on aperçut sur la route les échevins et tous les officiers municipaux qui venaient en pompe à la rencontre du cortège; le duc de Chaulnes, gouverneur de la province, descendit de cheval, les présenta à la jeune reine, et le premier échevin, François de Louvencourt, lui adressa, un genou en terre, cette harangue : « Madame, quand nous portons notre pensée sur le sujet qui vous amène et que c’est pour être l’épouse d’un des plus grands et plus parfaits rois, et par ce moyen allier les deux plus illustres et plus puissantes couronnes du monde, nous pouvons dire que jamais nous n’avons eu plus d’honneur, de bonheur et de joie que de vous voir, pour une occasion si souhaitable, arriver en cette ville; mais nous n’en avons point seuls les parfaits ressentimens : toute la France y parti-