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indignation accueillit d’abord dans les rangs de la majorité la pétition qu’appuyaient les menaçantes clameurs du dehors et le membre même du gouvernement provisoire qui en avait suggéré la pensée aux directeurs attitrés des mouvemens populaires ; mais il fallait ou succomber avec la certitude de voir s’évanouir pour la société sa dernière chance de salut, ou bien subir ces exigences insolentes en les modifiant dans la forme. L’on crut qu’en présence d’un peuple en armes catéchisé par des sophistes, une transaction, même périlleuse, était une condition obligée d’existence. L’on se résigna donc à passer sous les fourches caudines de M. Louis Blanc, et le lendemain le Moniteur publiait cette étrange déclaration :

« Le gouvernement provisoire de la république française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ;

« Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ;

« Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail ;

« Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir de la liste civile. »

Ainsi semblait se préparer, sous la conduite d’une ambition habile et hardie, le règne de la minorité turbulente qui remplit quelques cités industrielles de l’éclat de ses besoins et trop souvent de ses vices. C’était exclusivement à cette classe de la société qu’on rendait les deniers publics, lui reconnaissant une supériorité de fait, pour ne pas dire de droit, sur ces millions de cultivateurs et de bourgeois pacifiques dont l’attitude, en présence de la prochaine épreuve électorale, commençait à inspirer aux commissaires de la république les suspicions les plus vives et les alarmes les plus chaudes. En signant la proclamation du 25 février, le gouvernement provisoire avait passé le doigt dans l’engrenage d’un mécanisme d’où il était dans sa destinée de ne plus se dégager malgré d’honorables efforts. Le lendemain 26, un nouveau décret, se référant à celui de la veille, chargeait le ministre des travaux publics d’organiser des ateliers nationaux pour tous les citoyens sans travail, et les camps de prétendus travailleurs que la force des choses allait transformer en camps de prétoriens s’accroissaient en moins d’un mois de près de cent mille hommes !

Cette armée que le pouvoir se trouva conduit à constituer contre lui-même, et qui jusqu’au 24 juin tint en suspens le sort de la France, avait réclamé et obtenu sans observation une sorte de représentation officielle. Comme si la classe ouvrière avait formé dans l’état un ordre distinct, elle se vit admise à siéger par ses délégués sur les bancs mêmes de l’ancienne pairie pour y débattre toutes les questions soulevées par l’esprit fantaisiste d’un jeune écrivain, tandis que ces délibérations mêmes faisaient rentrer à cent pieds sous