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aux irritations politiques, l’on eut bientôt en face de soi des rivaux au lieu d’adversaires. De la victoire du parti conservateur sortit ainsi, comme par une conséquence fatale, la substitution des questions personnelles aux questions de parti, presque toutes résolues.

Était-il possible de détourner la monarchie constitutionnelle de cet écueil sur lequel elle a sombré, et de constituer dans le parlement des classifications nouvelles sur des intérêts nouveaux, en suscitant les problèmes auxquels pouvaient donner lieu les intérêts économiques comme ceux de l’ordre intellectuel, et en remaniant l’administration générale pour la mettre plus en rapport avec l’esprit d’un pays constitutionnel ? On peut le croire, et l’on a conservé sans doute le droit de répéter après la catastrophe ce qu’on a pu dire alors qu’elle n’était encore ni prochaine ni soupçonnée. Entré à la chambre sous les sombres lueurs dont les débats de la coalition avaient illuminé l’avenir, l’aspérité toujours croissante des luttes personnelles m’apparut alors comme le péril imminent déjà de la monarchie. Je me crus donc autorisé, par mon obscurité même, à dire que la meilleure voie ouverte pour empêcher qu’une révolution ne sortît à l’improviste d’une course aux portefeuilles, c’était d’empêcher l’opinion de mâcher à vide, en travaillant à mettre toutes nos institutions administratives dans un vivant accord avec les principes d’une société intelligente et libre. « Doter les conseils départementaux de certaines attributions politiques, accorder à la pairie la puissance de se recruter par ses propres choix, comme l’Institut, afin d’y transporter le centre de la vie parlementaire, organiser pour l’autre chambre l’élection à deux degrés, afin d’écarter la pression égoïste exercée sur l’élu par l’électeur, surtout dans les petits collèges, émanciper l’intelligence par une sérieuse liberté d’enseignement, l’église par des modifications profondes aux lois concordataires, » telles furent les mesures conservatrices et libérales dont je hasardai, dans ce recueil même, l’indication dès 1839 avec la confiante inexpérience d’un débutant[1]. Inutile de dire que, sous un règne où la conversion des rentes paraissait un péril et la réforme postale une témérité, de telles idées ne furent discutées par personne, et que l’auteur dut se considérer comme fort heureux de se voir protégé contre le ridicule par le silence. Il n’eut qu’à se le tenir pour dit, et à monter sans bruit à bord du navire dont le royal pilote, a pu dire M. Garnier-Pagès, « ne soupçonna la tempête que par le naufrage. »

Le cabinet du 29 octobre, pour ne pas dire la couronne, dont le ministère couvrait constitutionnellement la responsabilité, eut donc

  1. Lettres à un membre du parlement d’Angleterre sur le gouvernement représentatif en France, Revue du 1er, 15 octobre, du 1er novembre et du 15 novembre 1839.