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d’en perdre l’usage de ses facultés, la France ne retrouva le sang-froid nécessaire pour se défendre qu’après que le gouvernement républicain, dépouillé du prestige d’une mystérieuse inviolabilité, eut commencé à étaler le spectacle de son impuissance en face des problèmes soulevés par lui-même. Quand la république se trouva dans le cas de passer des discours aux actes et de la poésie à la prose, ce pouvoir, peu inventif, parce qu’il était honnête au fond, et qu’il avait déjà conscience de l’inanité de ses formules, se vit dans l’alternative ou de vivre sur quelques banales inscriptions remises au jour d’après les vieux palimpsestes révolutionnaires, ou de hasarder, afin de faire du nouveau avec un grand danger pour la société et pour lui-même, l’application des plus folles théories économiques. Était-il en mesure de donner à la France plus de liberté que ne l’avait fait depuis trente ans la monarchie représentative, sans provoquer dans les intérêts alarmés une réaction certaine ? L’égalité n’était-elle pas en 1847 le principe générateur d’une hiérarchie fondée sur la prééminence des talens et des services ? La fraternité n’était-elle pas l’inspiration incessante d’une société où les lois sur l’instruction primaire et professionnelle, la constitution des caisses d’épargne, le développement des travaux publics et du crédit, enfin les progrès continus de la richesse et de la pensée avaient, sous les auspices d’un gouvernement pacifique toujours contrôlé, élevé de plus en plus le niveau des salaires avec celui des intelligences ? Quelle loi plus féconde que la charte restait-il à promulguer sur le Sinaï de l’Hôtel de Ville au milieu des flots populaires qui venaient à toute heure battre ce pouvoir d’un jour ? Quel dogme fut révélé à la France, quel droit lui fut départi en dehors de ceux dont elle avait expérimenté l’usage ? Si l’on excepte le renversement de l’échafaud politique et la proclamation de quelques idées généreuses, je ne vois d’autre nouveauté que le droit à la parole, d’où les clubs ne tardèrent pas à faire sortir la triste panique dont nous souffrons encore ; je trouve aussi le trop fameux droit au travail, qui provoqua la création des ateliers nationaux, et le droit au fusil, qui donna son armée à l’insurrection de juin. La plupart de ces conquêtes ne tardèrent pas d’ailleurs à disparaître sous le coup des terreurs et des malédictions publiques, de telle sorte qu’entre toutes ses créations la seconde république n’eut plus pour la protéger, à partir du 10 décembre 1848, que le principe du suffrage universel, qu’elle a persisté à défendre depuis ce jour avec un désintéressement des plus complets.

Quand des gens de cœur ont opposé aux violences de la foule le rempart de leur poitrine, lorsqu’ils peuvent, comme M. Garnier-Pagès, se rendre le témoignage, d’avoir, « après trois mois d’une dictature presque absolue, quitté le pouvoir la tête haute, les mains