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À l’heure présente, il est curieux, il est même touchant d’entendre des hommes d’opinions avancées rendre de bon cœur une si franche et si complète justice à d’autres hommes dont ils sont séparés par de vifs dissentimens politiques. Combien de fois à Florence n’ai-je pas surpris d’anciens réfugiés, assez mal réconciliés avec le gouvernement du roi Victor-Emmanuel, se félicitant néanmoins de voir reparaître dans la vie publique les noms les plus anciens de leur cité natale, les Strozzi, les Riccardi, les Ridolfi ; me vantant les mérites de M. Peruzzi, du baron Ricasoli ; s’inclinant avec respect devant la belle figure du marquis Gino Capponi, l’un des plus nobles caractères, l’un des plus fermes esprits qu’il m’ait été donné de rencontrer, dont la cécité, cause de son éloignement des affaires, est, au dire des Italiens qui s’y connaissent le mieux, une véritable calamité publique !

Malheureusement pour les Italiens, ce bon accord dont je les félicite, si nécessaire pour obtenir les deux objets de leur fervent désir, Rome et la Vénétie, a reçu déjà une première atteinte, passagère, il faut l’espérer, et que l’habileté généreuse du cabinet italien et le bon sens des populations devront tendre à faire disparaître le plus tôt possible. Malheureusement aussi ce bon accord, alors même qu’il serait bientôt rétabli, ne suffira pas pour chasser les Autrichiens de leurs forteresses, ni peut-être pour persuader au gouvernement français de céder à l’Italie la possession de la ville éternelle. Il paraît entendu que les Italiens ont, quant à présent, renoncé à la guerre contre l’Autriche. C’est une campagne ajournée. Bornons-nous donc à souhaiter, lorsque les Italiens voudront l’entamer, qu’ils agissent seuls, sans secours étrangers, comme le voulait M. de Cavour, qu’ils choisissent bien leur temps, et que Dieu leur vienne en aide ! La question romaine est au contraire plus que jamais à l’ordre du jour. Là, il y a lutte ouverte avec le pape et dissidence avérée avec l’empereur des Français. Cela est grave et mérite grande considération.

Je ne suis pas opposé à ce que l’armée italienne du roi Victor-Emmanuel entre à Rome, non pas que je reconnaisse à ce roi privilégié, après tant d’autres capitales qu’il a déjà conquises, le droit de s’emparer pour son bon plaisir de cette capitale de toutes les capitales de l’Italie ; mais je suis convaincu que les Romains souhaitent les Piémontais de tout leur cœur, et déjà les auraient appelés, si nous n’étions pas là pour l’empêcher. Pour moi, étant donné l’origine et la nature de notre gouvernement, cela change tout. Notre gouvernement ne relève pas apparemment du droit divin ; il tient beaucoup à n’être même pas confondu avec d’autres gouvernemens d’un caractère mixte et qui cherchent l’expression de la