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habitude de sa vie et, jusqu’à un certain degré, un mobile de sa conduite[1]. » Pour la première fois, M. de La Rive se trompe, et cette fois au détriment de son ami. M. de Cavour ne se souciait pas qu’on tentât l’aventure. Il voulait tout empêcher. Il se proposait de faire arrêter Garibaldi. Il était très animé à ce sujet. Et comme on lui objectait l’impossibilité de trouver quelqu’un qui se chargeât de cette mission : « Si personne n’ose, dit-il au roi, j’irai moi-même lui mettre la main sur le collet. » Un petit nombre de témoins, dont je tiens ceci, savent seuls quelles scènes singulières se passèrent alors entre le ministre et le souverain. Le ministre ne fut pas convaincu, mais il céda, et, remplissant jusqu’au bout son devoir constitutionnel, il ne convint jamais du dissentiment et couvrit complètement, en cette occasion comme en toute autre, la personne royale. L’invasion des Marches fut au contraire un coup d’audace qui partit de la volonté expresse de M. de Cavour. « Jamais, dit le biographe genevois et protestant du ministre piémontais, jamais peut-être les combinaisons de la politique ne se montrèrent plus impitoyables que dans cette courte campagne entamée sans prétexte, poursuivie sans scrupule, partie terrible qu’il semblait pour la monarchie italienne aussi nécessaire qu’impossible de jouer. Cavour regarda ses cartes, et cette partie suprême, il la joua et la gagna[2]. »

Pour nous, on voudra bien nous excuser, si catholique et Français nous avons plus de peine à oublier qu’afin de gagner cette partie l’armée piémontaise dut passer tout entière sur le corps d’une petite poignée de catholiques dévoués et de vaillans Français. Nous nous vantons d’ailleurs de professer la plus haute estime pour les gens de cœur qui, en ces temps de convictions si molles et de caractères si énervés, savent mettre leurs personnes au service des causes désintéressées. Nous sommes donc de ceux qui ont ressenti comme une blessure faite à notre honneur national l’injure jetée par un général italien, naguère au service de l’Espagne, à de nobles soldats avec lesquels il devait se sentir honoré de croiser l’épée. S’il faut tout dire, nous croyons aussi que le roi Victor-Emmanuel avait donné assez de gages à la cause italienne et de preuves de sa valeur pour n’être pas tenu d’aller de sa personne chasser lui-même de son dernier refuge un jeune roi, son proche parent, fils d’une admirable princesse piémontaise dont le souvenir était resté vivant et béni à Turin aussi bien qu’à Naples. Cette réserve faite, nous conviendrons que l’invasion des Marches, le secours amené si à propos à Garibaldi sur les bords du Volturne et la prise de Gaëte ont utilement

  1. Récits et Souvenirs, p. 411.
  2. Ibid., p. 414.