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à Zurich pour y régler, entre la France, l’Autriche et le Piémont, les engagemens contractés à Villafranca. Que le plénipotentiaire sarde dût apposer sa signature à une pareille transaction, cela lui coûtait extrêmement. « Tant que les Autrichiens seront de ce côté des Alpes, ce sera un devoir sacré pour moi, écrivait-il à M. Castelli, de consacrer ce qu’il me reste de vie et de force à réaliser les espérances que j’ai travaillé à faire concevoir à mes concitoyens. » Son auguste allié de Plombières lui ayant en partie enlevé le fruit des rudes batailles de Magenta et de Solferino, il ne se faisait nulle conscience de lui enlever à son tour le bénéfice des commodes stipulations de Zurich, Il Puisqu’on m’y force, s’écria-t-il, je passerai le reste de ma vie à conspirer[1]). » Sur ce pied-là, il n’y avait plus d’égalité, car en Italie M. de Cavour était sur son terrain. Autant qu’homme de son temps, quoiqu’il n’en fût pas un partisan fanatique, il s’entendait à faire manœuvrer le suffrage universel. Redevenu plein de confiance, il n’hésita pas à rentrer au pouvoir afin de présider à la campagne nouvelle des annexions. Il devait rencontrer pour les accomplir d’actifs et puissans auxiliaires. Le baron Ricasoli à Florence par son énergique initiative, M. Farini dans les duchés et M. Pepoli à Bologne par leur heureuse habileté, le secondaient de leur mieux. Restait à faire consacrer par la France un nouvel état de choses qui annulait complètement les conditions du traité si récemment signé à Zurich. L’œuvre était difficile, car l’empereur s’était employé de bonne foi pour la restauration des princes déchus. Son amour-propre était presque engagé. Pour faire pencher la balance, il fallait un dernier effort. Résolu comme toujours, M. de Cavour, quoiqu’il n’eût pas reçu la Vénétie en échange, n’hésita pas, et jeta dans l’un des plateaux Nice et la Savoie.

J’ai dit tout à l’heure que, pour exprimer la nature de l’action qu’il entendait désormais exercer au pouvoir, M. de Cavour s’était servi du mot « conspirer. » On pourrait peut-être en conclure que de longue main il aurait voulu, conseillé et préparé l’expédition de Garibaldi en Sicile et dans le royaume de Naples. C’est une croyance généralement admise en Italie. M. de La Rive, d’ordinaire si bien informé, me paraît la partager. Suivant lui, le hardi ministre du roi Victor-Emmanuel, alors même qu’il ne l’eût pas approuvé, aurait répugné, en cette occurrence, à se mettre en travers du courant populaire qui portait Garibaldi. « Il eût craint, dit-il, d’être submergé, et par instinct il tenait à une popularité lentement acquise, obtenue sans sacrifice de sa part, mais dont il avait joui trop longtemps et trop complètement pour qu’elle ne fût pas désormais une

  1. Récits et Souvenirs, p. 403.