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et toujours plus admirées. Spectateur oisif cette fois, mais non pas indifférent, j’ai habité pendant le dernier hiver cette magnifique capitale des papes, où j’ai vu jadis mourir Léon XII et introniser Pie VIII. J’ai encore une fois monté les rampes doucement inclinées du Vatican et arpenté les longs corridors du Quirinal, si souvent traversés sous le pontificat de Grégoire XVI. À Naples et en Sicile, j’ai retrouvé rendus à la liberté d’anciens amis, dont quelques-uns, déjà suspects, avaient depuis mon absence expié dans la disgrâce, dans l’exil, ou, comme Poerio, dans d’étroits cachots, la méfiance inspirée à l’ombrageux roi Ferdinand.

D’autres contrastes m’attendaient à Turin. Là fonctionnait un parlement né d’élections libres. J’ai surpris en pleine crise ministérielle la paisible cité qu’au lendemain de la révolution de juillet Charles-Albert, brouillé avec ses complices de 1821, gouvernait de compte à demi avec les jésuites. L’ancienne capitale du petit Piémont m’a semblé n’avoir rien perdu de ses habitudes régulières et de son aspect un peu monotone. Les uniformes y abondent toujours, ils s’y maintiennent plus que jamais en grand honneur ; mais au lieu de soldats habilles à l’allemande, c’étaient des gardes nationaux qui défilaient devant moi, tambours en tête, dans ces mêmes rues où je me souvenais d’avoir vu les jeunes cadets de l’école militaire dévotement conduits à la promenade par des abbés à petit collet qui, à coup sûr, ne s’imaginaient pas former si bien leurs élèves pour battre un jour les Autrichiens. J’ai couru à l’ancien hôtel de l’ambassade française ; il était devenu le club de la noblesse. Des journaux de toutes couleurs, la plupart trop dangereux pour passer nos frontières, s’étalaient dans ces salons où naguère de rares visiteurs, séduits par l’attrait du fruit défendu, venaient de temps à autre, à leurs risques et périls, savourer la plus agréable des jouissances et se former à la meilleure école qui soit au monde, à savoir l’entretien familier d’un esprit supérieur à la fois aimable et sage. C’est bien dans cette pièce, au coin de cette lourde cheminée en boiserie massive, que j’ai plus d’une fois entendu le noble marquis d’Azeglio, le doux comte de Balbo le gracieux poète Silvio Pellico, causer avec M. de Barante. Voici le cabinet où Camille de Cavour, affranchi par sa démission du joug de la discipline militaire, s’efforçait toujours d’entraîner après dîner notre ambassadeur. Quelle n’était pas la curiosité de cet infatigable interrogateur ! Quand il craignait d’avoir lassé la complaisance pourtant infinie-du chef de notre légation, venait le tour de l’obscur secrétaire. Ce n’était point petite besogne que d’expliquer à ce futur ministre de l’Italie de 1859 tout ce qu’il avait besoin de savoir sur les hommes et sur les choses de la France de 1830, Mise sur ce chapitre, la conversation ne s’arrêtait plus. Que