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les plus belles d’entre toutes les fleurs ; — qui contemplent leurs yeux dans les enfoncemens du fleuve, — jusqu’à ce qu’ils meurent de leur propre beauté trop aimée.

« Puis la naïade de la vallée, le muguet. — La jeunesse le fait si beau, et la passion si pâle, — que l’éclat de ses clochettes tremblantes se laisse entrevoir — à travers leurs pavillons de verdure tendre.

« Puis l’hyacinthe empourprée, blanche et bleue, — qui de ses clochettes frêles jetait un carillon — de notes si délicates, si douces et si intenses, — qu’on le sentait au dedans des sens comme un parfum.

« Et la rose, comme une nymphe qui s’apprête pour le bain, — découvrant la profondeur de son sein éblouissant, — jusqu’à ce que, voile après voile devant l’air palpitant, — l’âme de sa beauté et de son amour se fût montrée nue.

« Puis le grand lis dressé qui levait en l’air, — comme une Ménade, sa coupe éclairée par la lune, — jusqu’à ce que l’étoile ardente, qui est son œil, — regardât l’azur tendre du ciel à travers la rosée transparente.

« Sur le courant dont la poitrine mouvante, — entre des berceaux de branches fleuries, — scintillait de clartés d’émeraude et d’or — qui glissaient à travers le dôme de teintes entremêlées,

« De larges nymphéas traînaient tremblans, — et à côté d’eux les nénufars étoilés luisaient, — et tout à l’entour la molle rivière scintillait et dansait — avec des sons doux et un doux rayonnement.

« Et les sentiers sinueux de gazon et de mousse — qui menaient dans le jardin en long et en travers, — quelques-uns ouverts à la fois au soleil et à la brise, — d’autres perdus parmi des berceaux d’arbres en fleur,

« Étaient tous parés de pâquerettes et de jacinthes délicates — aussi belles que les fabuleuses asphodèles,. — et de fleurettes, qui, se baissant vers le jour qui baissait, et retombaient en pavillons blancs, empourprés et bleus, — pour abriter le ver luisant contre la rosée du soir. »


Tout vit ici, tout respire et désire. Ce poème, qui est l’histoire d’une plante, est aussi l’histoire d’une âme, l’âme de Shelley, la sensitive. Est-ce qu’il n’est pas naturel de les confondre ? Est-ce qu’il n’y a pas une communauté de nature entre tous les vivans de ce mondée Certes il y a une âme dans chaque chose, il y en a une dans l’univers ; quel que soit l’être, brute ou pensant, défini ou vague, toujours par-delà sa forme sensible luit une essence secrète et je ne sais quoi de divin que nous entrevoyons par des éclairs sublimes, sans jamais y atteindre et le pénétrer. Voilà le pressentiment et l’aspiration qui soulèvent toute la poésie moderne, tantôt en méditations chrétiennes, comme chez Campbell et Wordsworth, tantôt en visions païennes, comme chez Keats et Shelley. Ils entendent palpiter le grand cœur de la nature, ils veulent arriver jusqu’à lui, ils tentent toutes les voies spirituelles ou sensibles, celle de la Judée et celle de la Grèce ; celle des dogmes consacrés et celle des doctrines proscrites. Dans cet effort magnifique et insensé, les plus