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dans la paroisse, celle du ministre. » Vous le voyez, l’auteur sourit, et sans malveillance ; ce naïf égoïsme est l’effet du métier et ne révolte point. Walter Scott n’est jamais aigre : au fond il aime les hommes, les excuse ou les tolère ; il ne flagelle point les vices, il les démasque, encore les démasque-t-il sans rudesse. Son meilleur plaisir est de suivre tout au long non point même un vice, mais un travers, la manie du bric-à-brac dans l’antiquaire, la vanité archéologique dans le baron de Bradwardine, le radotage nobiliaire dans la douairière de Tillietudlem, c’est-à-dire l’exagération plaisante de quelque goût permis, et cela sans colère, parce qu’en somme ces gens ridicules sont estimables et parfois généreux. Même dans des coquins comme Dick Hatteraick, dans des coupe-jarrets comme Bothwell, il met quelque chose de bon. Il n’y a pas jusqu’au major Dalgetty, tueur de profession, sorti de l’atroce guerre de trente ans, dont il ne couvre l’odieux sous le ridicule. Par cette finesse critique et par cette philosophie bienveillante, il ressemble à Addison.

Il lui ressemble encore par la pureté et la continuité de ses intentions morales. « Sir Walter, lui disait M. Laidlaw, auquel il dictait Ivanhoe, je ne puis m’empêcher de vous dire que vous faites un bien immense par ces récits si attrayans et si nobles, car les jeunes gens et les jeunes personnes ne voudront plus jeter les yeux sur les drogues littéraires qu’on leur fournissait dans les cabinets de lecture[1]. » Et les yeux de Walter Scott se remplirent de larmes. À son lit de mort, il dit à son gendre : « Lockhart, je n’ai plus qu’une minute peut-être à vous parler. Mon ami, soyez un homme de bien ; soyez vertueux, soyez religieux, soyez un homme de bien. Aucune autre chose ne vous donnera de consolation quand vous serez où j’en suis. » Ce fut là presque sa dernière parole. Par cette honnêteté foncière et par cette large humanité, il s’est trouvé l’Homère de la bourgeoisie moderne. Autour de lui et après lui, le roman de mœurs, dégagé du roman historique, a fourni une littérature entière et gardé les caractères qu’il lui avait imprimés. Miss Austen, miss Brontë, mistress Gaskell, mistress Elliot, Bulwer, Thackeray, Dickens et tant d’autres peignent surtout ou peignent uniquement, comme lui, la vie contemporaine, telle qu’elle est, sans embellissemens, à tous les étages, souvent dans le peuple, plus souvent encore dans la classe moyenne. Et les causes qui ont fait avorter chez lui et ailleurs le roman historique ont fait réussir chez lui et les autres le roman de mœurs. Ils s’étaient trouvés copistes trop minutieux et moralistes trop décidés, incapables des grandes divinations et des larges sympathies qui ouvrent l’histoire ; leur imagination

  1. Circulating libraries. (Je traduis par un équivalent.)