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il les éloignera tous[1]. « La défiance est réciproque, et François II ne veut pas plus de ses partisans que ses partisans ne veulent de lui. Que désire donc le parti de la réaction ? Cela est assez difficile à définir : Il est présumable cependant qu’il se contenterait d’une délégation de royauté faite par Victor-Emmanuel au profit d’un vice-roi qui, séjournant à Naples, rétablirait une cour où les membres de l’ancienne aristocratie, qui forment le noyau le plus sérieux de ce parti, pourraient reprendre de vieilles habitudes et reconquérir une importance que le régime nouveau leur a fait perdre, car il en est de l’aristocratie napolitaine, sauf d’honorables exceptions, comme de la plupart des aristocraties de l’Europe : à force de vivre sur elle-même, de tourner les yeux vers un passé que rien ne fera plus revivre, elle s’est isolée du mouvement des idées modernes, elle s’affaisse dans son propre engourdissement, et n’a plus, jusqu’à nouvel ordre, d’existence possible que dans la haute domesticité des charges de cour. Quant au parti de l’action, outre qu’il est assez peu nombreux, il ne reproche par le fait au gouvernement que ses prétendues lenteurs dans la double question de Rome et de Venise. En dehors de cette question, et sauf des cas très rares[2], il marche d’accord avec lui et s’unirait à lui d’une façon éclatante, si le parti de la réaction osait ou pouvait menacer directement l’existence de l’unité italienne et du régime parlementaire. Quant au muratisme, je n’en parle pas : c’est une plaisanterie dont personne ne s’occupe à Naples.

Le parti le plus fort, le plus compacte, est en définitive celui qui a pris pour devise : « l’Italie une avec Victor-Emmanuel. » La seule condensation de ce parti suffit à annuler les deux autres. En effet, il l’emporte sur eux par le nombre et par l’intelligence. Pour se figurer avec quelle ferveur, avec quel enthousiasme ces hommes ont embrassé la cause de Victor-Emmanuel en comprenant qu’elle était la cause de l’Italie entière, de la patrie commune et de leur propre

  1. Instructions du général Clary au général Borjès, § 3 et § 8.
  2. C’est un de ces cas de regrettable dissidence qui vient de se produire en Sicile. Nous croyons avoir montré cependant quels liens sérieux se sont formés entre la société napolitaine et le roi Victor-Emmanuel. Les derniers actes de Garibaldi peuvent imprimer une forte secousse aux esprits ; mais la transformation morale qui s’accomplit dans les provinces méridionales est désormais en bonne voie, elle peut se poursuivre au milieu des plus graves agitations politiques. Il est même à présumer que Garibaldi ne trouverait pas à Naples de nombreux adhérens à la politique turbulente et dangereuse qu’il semble vouloir inaugurer ; le peuple napolitain ne tarderait pas à comprendre que le mouvement suscité par l’ancien libérateur du royaume des Deux-Siciles est non-seulement intempestif, mais coupable, car il paralyse la marche régulière du gouvernement, et servira d’auxiliaire puissant aux menées de l’absolutisme, qui exploitera de telles folies à son avantage.