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des anciens preux, « tours et tourelles, copiées chacune d’après quelque vieux manoir écossais, toits et fenêtres blasonnés avec les insignes des clans, avec des lions rampans sur gueules, » avec des appartemens remplis de hauts dressoirs et de bahuts sculptés, décorés par des targes, des plaids et de grandes épées de highlanders, par des hallebardes, des armures, des andouillers disposés en trophées[1]. » Pendant de longues années, il y tint, pour ainsi parler, table ouverte, et fit à tout étranger « les honneurs de l’Ecosse, » essayant de ressusciter l’antique vie féodale avec tous ses usages et tout son étalage : « large et joyeuse hospitalité ouverte à tous venans, mais surtout aux parens, aux alliés et aux voisins, — ballades et pibrochs sonnant pour égayer les verres qui trinquent, — joyeuses chasses où les yeomen et les gentlemen peuvent chevaucher côte à côte, — danses gaillardes et gaies où le lord n’aura pas honte de donner la main à la fille du meunier[2]. » Lui-même, ouvert, heureux au milieu de ses quarante convives, nourrissait l’entretien par une profusion de récits épanchés de sa mémoire et de son imagination prodigues[3], conduisait ses hôtes dans son domaine élargi à grands frais, parmi les plantations nouvelles dont l’ombrage futur devait abriter sa race, et pensait avec un sourire de poète aux générations lointaines qui reconnaîtraient pour ancêtre sir Waller Scott, premier baronet d’Abbotsford.

La Dame du Lac, Marmion, le Lord des Iles, la Jolie Fille de Perth, les Puritains d’Ecosse, Ivanhoé, Quentin Durward, qui ne sait par cœur tous ces noms ? C’est chez Walter Scott que nous avons appris l’histoire. Et cependant est-ce de l’histoire ? Toutes ces peintures d’un passé lointain sont fausses. Les costumes, les paysages, les dehors sont seuls exacts ; actions, discours, sentimens, tout le reste est civilisé, embelli, arrangé à la moderne. On pouvait s’en douter en regardant le caractère et la vie de l’auteur, car que veut-il et que demandent ces hôtes empressés à l’écouter ? Est-ce un amateur de la vérité pure, telle qu’elle est, atroce et sale, un curieux naturaliste, indifférent à l’applaudissement de ses contemporains, uniquement attaché à constater les transformations de la nature vivante ? En aucune façon. Il est dans l’histoire comme dans son château d’Abbotsford, occupé à disposer des points de vue et des salles gothiques. La lune fera bien là-bas entre les tourelles ; voilà une cuirasse heureusement placée, le jet de lumière qu’elle renvoie est agréable à voir sur les vieilles tentures ; si l’on tirait de la garde-robe

  1. Sa bibliothèque et sa collection furent estimées 10,000 liv. sterl.
  2. Je suis obligé de traduire ici par des équivalens.
  3. « Aujourd’hui environ cent cinquante anecdotes ! » écrit le capitaine Basil Hall, son hôte.