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et ses poèmes ne sont que l’écho de sa vie. C’était un enfant délicat, craintif, d’une sensibilité frémissante, passionnément tendre, et qui, ayant perdu sa mère à six ans, fut soumis presque aussitôt au fagging et aux brutalités d’une école publique. Elles sont étranges en Angleterre : un garçon d’environ quinze ans le prit comme victime, et le pauvre petit, incessamment maltraité, conçut « une telle crainte de son bourreau, qu’il n’osait lever les yeux sur lui plus haut que les genoux, et le connaissait mieux par ses boucles de souliers que par aucune autre partie de son habillement. » Dès neuf ans, la mélancolie le prit, non pas la rêverie douce que nous appelons de ce nom, mais le profond abattement, le désespoir morne et continu, l’horrible maladie des nerfs et de l’âme qui produit le suicide, le puritanisme et la folie. « Jour et nuit j’étais à la torture, me couchant dans l’angoisse, me levant dans le désespoir. » Le mal changeait d’aspect, diminuait, mais ne le quittait pas. Comme il n’avait qu’une petite fortune, quoique né dans une grande famille, il accepta sans réflexion l’offre de son oncle, qui voulait lui donner une place de clerc à la chambre des communes ; mais il fallait subir un examen, et ses nerfs se démontaient à la seule idée qu’il faudrait paraître et parler en public. Pendant six mois, il essaya de se préparer ; mais il lisait sans comprendre, une fièvre nerveuse le minait. Ses sensations étaient « celles d’un homme qui monte sur l’échafaud toutes les fois qu’il mettait le pied dans le bureau ; pendant six mois il y vint tous les jours. » — « Dans cet état, dit-il, j’étais saisi par momens d’un tel accès de désespoir, que, seul dans ma chambre, je poussais des cris et maudissais l’heure de ma naissance, levant mes yeux au ciel, non pas en suppliant, mais avec un esprit infernal de haine envenimée et de reproche contre mon Créateur. » Le jour de l’examen approchait ; il espéra devenir fou pour s’y soustraire, et comme la raison tenait bon, il pensa même à se tuer. Enfin, dans un moment de délire, la démence vint, et on le mit dans une maison d’aliénés, « tout pénétré par un sentiment exalté de dégoût et d’horreur pour lui-même et par la crainte d’un châtiment instantané, » jusqu’à se croire damné, comme Bunyan et les premiers puritains. Au bout de plusieurs mois, sa raison lui revint ; mais elle se sentait des étranges pays où elle avait voyagé toute seule. Il resta triste, comme un homme qui se croit dans la disgrâce de Dieu, et se trouva incapable d’une vie active. Cependant un ministre, M. Unvvin, et sa femme, bonnes gens bien pieux et bien réguliers, l’avaient recueilli. Il essayait de s’occuper mécaniquement, par exemple en fabriquant des cages à lapins, en jardinant, en apprivoisant des lièvres. Il employait le reste de la journée, comme un méthodiste, à lire l’Écriture ou des sermons, à chanter des hymnes