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sur une souris dont sa charrue a dérangé la tanière, sur une marguerite de montagne. Homme, bête ou plante, y a-t-il si grande différence ? Une souris amasse, calcule, souffre comme un homme. « Je crois bien que par ci par là elle vole ; eh bien ! après ? Pauvre bête, il faut qu’elle vive. » même les anciens condamnés, ces grands malfaiteurs, Satan et sa bande, on n’a plus envie de les maudire ; comme les sacripans de taverne et les mendians qu’on a vus tout à l’heure, ils ont leurs mérites, et peut-être après tout ne sont-ils pas si méchans qu’on le dit. Voici par exemple « le vieux cornu, le vieux pied de bouc, qui nous a joué tant de mauvais tours, le chien sournois, surtout le jour où il s’est faufilé incognito dans le paradis » et a mis nos grands parens à mal. À présent, « dans sa caverne enfumée, il verse son écumoire de soufre sur le pauvre monde. Pourtant, dit Burns, je suis sûr que c’est un mince, plaisir, même pour un diable, d’éreinter et d’échauder les pauvres chiens comme moi et de les entendre piauler. Bon soir, vieux Nick ; puissiez-vous avoir une bonne idée et vous amender ! Peut-être alors pourriez-vous… Que sais-je, moi !… Tout de même essayez… Cela me fait peine de songer à ce trou noir là-bas, ne serait-ce que pour l’amour de vous ! » On voit qu’il parle au diable comme à un camarade malheureux, mauvais coucheur, mais tombé dans la peine. Faites un pas de plus, et vous verrez dans un poème contemporain, chez Goethe, que Méphistophélès lui-même n’est pas trop damné. Son dieu, le dieu moderne, le tolère et lui déclare qu’il n’a jamais haï ses pareils. C’est que la large nature conciliante assemble dans ses chœurs au même titre les ministres de destruction et les ministres de vie. Dans ce profond changement, l’idéal change ; la vie bourgeoise et rangée, le strict devoir puritain, n’épuisent pas toutes les puissances de l’homme. Burns réclame en faveur de l’instinct et de la jouissance jusqu’à sembler épicurien. Il a une vraie gaîté, une verve comique ; le rire lui semble une bonne chose ; il le loue, et aussi les bons soupers de bons camarades, où le vin coule, où la plaisanterie foisonne, où les idées roulent, où la poésie pétille, et fait danser dans la cervelle humaine un carnaval de belles figures et de personnages en belle humeur.

Amoureux, il le fut toujours. Il faisait si bien de l’amour le grand but de la vie, que dans le club qu’il fonda avec les jeunes gens de Torbolton on imposa à chaque membre l’obligation « d’être l’amant déclaré d’une ou plusieurs belles. » Dès l’âge de quinze ans, ce fut là sa principale affaire. Il avait pour compagne dans le travail de la moisson une douce et aimable fille plus jeune d’un an que lui. « Sans le savoir, dit-il, elle m’initia à cette délicieuse passion qui, malgré les désappointemens amers et tout ce que dira une prudence