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gée de renoncer à la presse, emploie en ce moment les enrôlemens volontaires, et parvient fort difficilement à former ses équipages malgré ses 400,000 matelots, toujours prêts à naviguer pour la marine marchande. L’enquête faite par l’amirauté anglaise en 1861 constate que souvent les bâtimens de la marine royale attendent cinq ou six mois pour compléter leur équipage et sont parfois obligés de partir sans avoir leur effectif réglementaire. Les engagemens volontaires ne peuvent être chez nous qu’un appoint du contingent de notre flotte, et à ce titre M. le ministre de la marine a sagement fait quand, au mois de juin de cette année même, il a organisé des primes pour les encourager.

Reprendre d’autorité dans une circonstance grave, les marins libérés par la limite d’âge nous paraît un mauvais expédient, sur lequel il serait indigne à un gouvernement loyal de compter. À quoi bon laisser supposer à des hommes qu’ils sont complètement quittes envers l’état, si tacitement on entend conserver le droit de les rappeler au service ? Ce ne serait pas d’ailleurs innover beaucoup sur le régime actuel, car, par un acte du 30 septembre 1860, il est décidé que les inscrits qui auront accompli six ans de service ne pourront plus être levés qu’en vertu d’un décret impérial.

Ces objections auront-elles toujours la même force ? Ne peut-on pas prévoir un moment où, sans aucun danger pour notre puissance navale, nous pourrons recruter autrement et ailleurs notre personnel maritime ? Nous le croyons. La transformation de notre flotte la substitution de frégates cuirassées aux vaisseaux à voiles ou à hélice, aura pour effet de réduire nos équipages et même d’en changer la composition. On peut en juger déjà par quelques faits.

L’effectif de la Gloire est de 570 hommes, celui du Magenta et du Solferino est de 674 hommes, et les personnes les plus compétentes pensent qu’il est trop élevé. Chacune de ces frégates blindées représente, comme moyen de guerre, une force égale à celle au moins de trois ou quatre de nos vieux vaisseaux. Or nos vaisseaux de premier rang, tels que la Bretagne et le Montebello, ont des équipages de 1,000 à 1,200 hommes. De là on peut hardiment conclure que le tiers ou tout au plus la moitié de notre personnel naval sera suffisant pour armer notre flotte quand elle aura été refondue d’après les nouveaux types. Lorsque au lieu de bâtimens à hélice, qui se manœuvrent moitié à la voile, moitié à la vapeur, nous aurons des forteresses cuirassées naviguant exclusivement à la vapeur, destinées à vaincre l’ennemi par la force de leur résistance ou par leur choc et leur formidable artillerie, la tactique navale sera complètement changée, et les gabiers de l’inscription maritime pourront être remplacés par les hommes du recrutement, qui porteront sur la mer l’intrépidité vigoureuse de notre armée de terre.