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artificielles de ses tarifs. Ce qui s’est passé en France à la suite du traité de 1826 conclu avec l’Angleterre ne doit laisser aucun doute sur ces résultats. Au lieu de supputer le nombre des bâtimens des deux nations qui interviennent dans les rapports des deux pays, qu’on calcule celui de nos navires aujourd’hui employés à cette navigation, comparé avec celui que nous avions avant l’assimilation des pavillons, et l’on reconnaîtra que notre marine marchande y a gagné un accroissement considérable. Le même fait se reproduira partout, quand le système se sera généralisé.

Il y aurait bien des objections à faire à cette brillante théorie. Nous en indiquerons quelques-unes. Quand l’Angleterre a-t-elle songé à rappeler l’acte de navigation de 1651 ? Lorsqu’après l’enquête de 1847 elle s’est jugée en position de ne redouter aucune rivalité, pas même celle des États-Unis. Sommes-nous dans une situation analogue ? L’étude à laquelle nous venons de nous livrer ne laisse-t-elle pas la triste conviction que notre marine marchande, avec son matériel naval de 1 million de tonneaux, est mal armée pour lutter avec la marine américaine, qui possède 5 millions de tonneaux, et avec la marine anglaise, riche de 4 millions 1/2 de tonneaux ? L’accroissement de notre navigation dans un mouvement commercial plus étendu est loin d’être une conséquence certaine du principe de liberté. On le voit par le résultat qu’a eu notre traité avec les États-Unis. Le prodigieux développement de nos relations directes avec cette république a amené la substitution absolue du pavillon américain au pavillon français. Comment espérer que nous serons plus forts contre les Norvégiens, les Danois, les Suédois, les Hambourgeois, les Génois, qui naviguent à bien meilleur marché que les Américains ? L’exemple cité de ce qui est survenu à la suite de notre traité avec l’Angleterre est bien loin d’être aussi concluant que le prétendent ceux qui l’invoquent. Oui, notre marine, dans l’intercourse avec l’Angleterre, a acquis une importance plus grande que celle qu’elle avait avant 1826 ; mais pour la puissance de la France quelle valeur peut avoir ce progrès, si la marine de l’Angleterre, dans ce même intercourse, en a accompli un plus considérable ? Or c’est ce qui est arrivé, puisque avant le traité notre pavillon dominait dans la navigation entre les deux peuples, et qu’aujourd’hui c’est celui de l’Angleterre qui domine.

À ce point de la discussion, nous nous étonnerions si on ne s’apercevait pas qu’au fond c’est bien plus une question politique qui est posée qu’une question commerciale. Nous comprenons les inquiétudes de M. le ministre de la marine, qui se demande si l’expérience qu’on semble disposé à tenter ne portera pas une atteinte profonde à notre inscription maritime. La réforme met le ministère de la marine dans le dilemme suivant, dont les deux termes le me-