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notre littoral, les capitaux font comme les hommes : ils désertent les navires, et laissent nos armateurs livrés à leurs faibles ressources. Ceux-ci sont alors obligés de limiter la durée et l’étendue de leurs expéditions aux moyens pécuniaires dont ils disposent ou qu’ils peuvent se procurer autour d’eux. Ils s’adresseraient inutilement à nos hommes de finances. À quelques exceptions près, ceux-ci résident tous à Paris, où les affaires maritimes n’ont jamais eu qu’une place secondaire. En Angleterre, non-seulement les banquiers, les détenteurs de capitaux viennent en aide aux armemens, mais aussi toutes les classes de la société. Les manufacturiers, les propriétaires de houilles poussent à la construction et à l’armement des navires ; ils y prennent volontiers un intérêt, sauf à stipuler quelque clause favorable à l’écoulement de leurs produits. Bon nombre de maisons de Glasgow, de Manchester, d’établissemens de Cardif et de New-Castle sont associés dans de larges proportions avec des armateurs de Londres et de Liverpool, avec des constructeurs de la Tyne et de la Mersey. Autre différence : les Français s’expatrient difficilement. Ceux qui s’éloignent du sol natal sont trop souvent de tristes représentans de notre nationalité ; pour la plupart, ils sont partis sans ressources, quelquefois pour cacher leurs précédens ; ils s’éparpillent sur les différens points du globe afin d’y chercher à l’aventure leurs moyens d’existence, et les plus honnêtes avec la pensée de rentrer dans la mère-patrie dès qu’ils auront amassé quelque argent. Nous savons bien que des exceptions peuvent être citées : elles sont d’autant plus éclatantes qu’elles sont peu nombreuses. Aussi, comme en 1824, nous sommes encore aujourd’hui à l’étranger sans compatriotes auxquels nous puissions confier la gestion de nos armemens[1]. Les Anglais, les Hollandais, les Américains ont presque partout des maisons qui sont des dépendances ou des succursales de leur établissement métropolitain. Ces maisons établies depuis longtemps dans le pays y ont acquis de l’influence et de la considération ; elles s’appliquent à suivre tous les mouvemens de la production et de la consommation locale ; elles tiennent exactement informés de ces variations leur établissement principal et les armateurs qui s’adressent à elles ; elles préparent à l’avance la vente des cargaisons qui leur sont annoncées et la formation de celles qui devront être expédiées en retour. Ces maisons ont un rôle trop important pour que celles qui le remplissent soient l’œuvre d’un jour ou du premier venu. À toutes ces différences, qui nous font une position inférieure, nous en avons à en ajouter une autre : nous voulons parler de l’absence d’un fret de sortie.

  1. Dans l’enquête de 1824, on signala vivement cette circonstance comme une des causes de notre infériorité.