Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gation, tel qu’il est établi en 1860. Il est formé d’après le travail de l’administration, qui relève le tonnage des navires français à l’entrée et à la sortie. L’administration n’examine pas si ce tonnage est complètement employé. Or qui ne sait que la plupart du temps nos bâtimens s’expédient avec une fraction de chargement, et quelquefois même sur lest ? On se ferait donc illusion, si on prenait pour mesure de l’importance réelle de notre mouvement maritime le chiffre officiel que nous venons de rappeler.


VI.

Nous avons vu dans cet examen bien des causes d’infériorité pour notre marine qu’il est possible de faire disparaître avec de la persévérance et de la volonté ; mais il en est d’autres, inhérentes à sa constitution, et auxquelles il nous paraît plus difficile de porter remède. Elles ont été signalées par les représentans des ports, et elles méritent d’autant plus de fixer notre attention qu’elles nécessitent des aveux pénibles.

En France, c’est par exception qu’on s’occupe d’armemens maritimes. En Angleterre, tous les efforts, tout le travail, ont pour but de satisfaire à un besoin d’expansion dont la marine est l’instrument. Tout le monde s’y intéresse, le filateur et le banquier aussi bien que le possesseur de navires. Chaque Anglais comprend que la grandeur de son pays dépend de sa prépondérance sur les mers ; pour lui comme pour l’homme d’état, c’est au dehors qu’il est habitué, des son enfance, de chercher un but à son activité et des chances de fortune. La Hollande présente le même spectacle : c’est sur la navigation que se porte l’intérêt presque exclusif de ses habitans. Dans les eaux intérieures, dans le Zuyderzée, on est frappé à chaque pas de la force des penchans, de la surabondance de vigueur et de moyens qui ramènent ce peuple vers les sources de son ancienne prospérité. Dans le cours inférieur de la Meuse, chaque village est transformé en un chantier de construction. Au milieu des plus humbles maisons apparaissent les charpentes de grands bâtimens destinés à la navigation des Indes. Les paysans eux-mêmes se font constructeurs, et, par la force du sentiment public, ils se croient relevés de leur modeste position quand ils prêtent leur argent ou leur travail à ces entreprises lointaines. Avoir une part dans un vaisseau qui navigue dans la mer des Indes, c’est sortir des classes inférieures. C’est mieux qu’en France, où Colbert disait que le noble ne dérogeait pas en s’occupant d’armement : en Hollande, on s’ennoblit.

De cette première différence d’aptitude et de mœurs il en découle d’autres presque aussi importantes. Excepté sur une bande étroite de