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Tel est en résumé l’esprit de l’enquête anglaise. Sauf le détail, nous verrons les mêmes idées, les mêmes craintes, les mêmes espérances se reproduire dans l’enquête française, mais se dégageant d’une situation malheureusement bien différente. En relisant les procès-verbaux de l’enquête anglaise, on est frappé de n’y trouver nulle part le signe de quelque préoccupation à l’endroit de la marine française. Nos armateurs et nos constructeurs font plus d’honneur à l’Angleterre, c’est principalement d’elle qu’ils s’occupent, c’est sa rivalité qui leur paraît surtout menaçante.

Nos chambres de commerce des ports ont désigné des délégués qui ont comparu devant le conseil supérieur. Leur déposition était dirigée par un questionnaire divisé en cinq chapitres, savoir : le navire, l’équipage, les règlemens maritimes, la législation douanière, le cabotage. Suivons le même ordre, en ne nous arrêtant, bien entendu, qu’aux points principaux.

Les représentans des ports français n’ont eu qu’une même opinion sur l’état de notre construction navale. Notre construction est plus chère que celle des autres peuples. Il n’est pas facile de préciser de combien est cette différence, car la valeur d’un bâtiment dépend de la durée. Un navire construit au Canada coûte très bon marché, mais l’existence en est très courte ; un bâtiment dont la charpente est en bois de teck est d’un prix bien autrement élevé, mais l’existence d’un tel navire est de plus de vingt ans.

Notre infériorité à ce sujet s’explique par plusieurs causes. Le fer, qui tend chaque jour à entrer pour une plus grande proportion dans l’architecture navale, se paie en Angleterre moins cher qu’en France. On y obtient aussi, sans surcharge de droits de douane, tous les objets qui servent à l’armement d’un navire, et les constructeurs, dans leurs rapports avec les ouvriers, n’ont d’autre loi à subir que celle de l’offre et de la demande. À la suite de l’enquête de 1847, faculté a été donnée au commerce anglais de nationaliser en franchise les bâtimens achetés à l’étranger, et il saisit toutes les occasions favorables, malgré ses immenses ressources, d’accroître par ce moyen son matériel naval.

Un bâtiment construit en France dans de bonnes conditions, et de la jauge de 400 à 500 tonneaux, revient de 400 à 500 francs le tonneau. L’écart entre ces deux prix est plus ou moins grand selon le nombre de rechanges qu’exige l’armateur. L’existence moyenne des navires de première classe, auxquels s’applique ce prix, ne dépasse pas douze ans.

Les constructeurs de la Tyne varient leur prix suivant le classement qu’on veut obtenir au Lloyd. Les bâtimens pour treize ans, de première classe, se paient 437 francs par tonneau ; ceux pour dix