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lequel s’abritait depuis deux siècles notre marine marchande se détachent successivement. Ainsi, après le traité de commerce avec l’Angleterre, nous sommes conduits à faire un traité semblable avec la Belgique. L’Italie, l’Allemagne sont aussi admises à conclure des conventions avec nous. Ces arrangemens internationaux ne se font pas sans imposer un sacrifice à notre navigation. On abroge la disposition qui interdisait, afin d’en réserver le transport à notre marine, l’introduction par les frontières de terre des denrées tropicales et des marchandises de grand encombrement. Enfin on supprime la surtaxe de pavillon pour les cotons, les laines, les jutes, les chanvres, les minerais, afin d’en provoquer une plus grande importation, dût-elle être acquise au moyen de la marine étrangère et au détriment de la nôtre.

Tels sont les faits accomplis après lesquels s’ouvre l’enquête ! Que ceux qui s’y présentent élèvent des réclamations, qu’ils fassent quelque proposition d’accommodement ; n’ont-ils point à prévoir qu’on leur répondra par le terrible mot des révolutions : Il est trop tard ? Ne nous étonnons donc pas si quelques organes des intérêts maritimes ont fait entendre dans leurs dépositions autant de plaintes que de renseignemens.

Cependant, même dans les circonstances où elle intervient, l’enquête n’est pas sans importance, et mérite l’attention du public. Le rapport à l’empereur de M. le ministre du commerce, qui a en quelque sorte inauguré cette opération, malgré une apparence d’impartialité habilement ménagée, trahit la pensée du gouvernement. Si l’on suit dans ce document l’exposé des faits, on est amené à conclure que la France peut sans danger adopter le principe de la libre concurrence en matière de navigation. Cette proposition faisait aussi l’objet de l’enquête de 1847 en Angleterre. Les questions qui y furent débattues étaient celles que nous voyons figurer dans le questionnaire français. Deux courans d’idées se produisirent chez nos voisins d’outre-Manche : l’un, celui des armateurs et des constructeurs, s’efforçait de mettre en lumière les heureux effets de l’acte de navigation ; c’était à lui qu’ils attribuaient la puissance navale de l’Angleterre et sa prépondérance sur les mers. Admettre la concurrence étrangère était à leurs yeux compromettre de si grands biens. Était-il politique, disaient-ils, de renoncer à un régime qui leur avait permis d’enlever à la Hollande le monopole des transports ? Sans méconnaître les ressources particulières dont ils étaient pourvus pour leurs armemens, ils signalaient des parties pour lesquelles ils étaient moins bien partagés que leurs rivaux, telles que la main-d’œuvre, les gages d’équipage, les provisions de bord, leur construction plus chère que celle des chantiers de la Baltique et des États-Unis, leurs