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Turcs contre les Russes, et les chrétiens contre les Turcs ; nous soutenions en Syrie l’ambition de Méhémet-Ali, que nous combattions en Arabie et sur les frontières de l’Asie-Mineure. La politique anglaise était plus simple et plus exclusivement dirigée vers un seul but et un avenir prochain ; elle ne s’inquiétait que de faire durer l’empire ottoman et de le défendre, soit en Europe, soit en Asie, contre les ambitions extérieures et les déchiremens intérieurs. » Ce tableau des deux politiques n’a pas changé depuis 1840, et ici revient la question que j’ai posée dès le commencement : la France se trompait dans le présent, et peut-être méritait-elle de se tromper, puisqu’au lieu de soutenir, comme en Grèce, une civilisation chrétienne renaissante, elle soutenait un civilisateur musulman, fort dur et fort égoïste ; mais si la France se trompait dans le présent, en 1840, en appuyant trop Méhémet-Ali, l’Angleterre se trompait dans l’avenir en défendant trop l’empire ottoman. La France n’a pas eu longtemps à attendre pour reconnaître son erreur ; l’Angleterre a eu vingt ans et plus pour reconnaître la sienne. Comment peut-elle donc encore se faire illusion ? Et si elle ne se fait pas illusion, que veut-elle en Orient ? Est-ce un système digne d’un grand peuple de perpétuer la faiblesse de l’Orient sous toutes ses formes : sous sa forme turque, puisque l’Angleterre a tout fait pour restaurer l’Orient sous cette forme et n’a pas pu y réussir ; sous sa forme chrétienne, puisqu’elle fait tout ce qu’elle peut pour tenir les populations chrétiennes de l’Orient dans une infériorité politique et religieuse qui fait honte à l’humanité ?

Je suis heureux pour la France que depuis plus de quarante ans sa politique orientale, sans être aventureuse et chimérique, n’ait rien eu de cette obstination malfaisante. La France a vu quel était l’avenir de l’Orient, et, sans vouloir hâter témérairement cet avenir, elle l’a pris pour but lointain, mais certain. Elle a pensé que l’Orient pouvait se régénérer par lui-même, par les populations qu’il a dans son sein, et qu’il n’avait pas besoin, pour renaître à la civilisation, de se faire Russe ou Anglais, Autrichien ou Français. Chaque pas des populations orientales, chrétiennes ou musulmanes, chaque pas vers ce but a été encouragé par la France ; elle a poussé la confiance sur ce point jusqu’à la crédulité. Elle a cru plusieurs fois à la restauration de la Turquie ; elle a cru au pacha d’Égypte, et je ne la blâme pas de ces actes d’espérance. Son esprit de tolérance demandait qu’elle encourageât la civilisation même, avec le Coran. Convaincue enfin de la stérilité des efforts musulmans, elle croit maintenant à l’avenir des populations chrétiennes, et elle défendra, je l’espère, cet avenir contre les menées égoïstes de l’Angleterre et de la Turquie.