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coup les vieux cadres de l’Europe coalisée et de la France révolutionnaire. En 1840, ces cadres n’étaient pas encore rompus, et comme le principe de coalition anti-française renfermé dans le traité du 15 juillet 1840 suscitait en France une colère et une inquiétude légitimes, les vieux cadres semblaient prêts à se reformer. Quand la France a une colère, bonne ou mauvaise, sa colère prend presque toujours une forme révolutionnaire. Telle était notre colère en 1840 ; on recommençait à chanter la Marseillaise. « Le cabinet français, dit M. Guizot avec beaucoup de vérité et d’impartialité, le cabinet français, quoique très ému de cette impression publique, ne s’y livrait pas sans mesure et sans prévoyance… Je ne sais pas ce que produira la question d’Orient, m’écrivait M. Thiers le 21 juillet ; bien sots, bien fous ceux qui voudraient avoir la prétention de le deviner ! mais en tout cas il faudra choisir le moment d’agir pour se jeter dans une fissure et séparer la coalition. Éclater aujourd’hui serait insensé et point motivé, d’autant que nous sommes peut-être en présence d’une grande étourderie anglaise. En attendant, il faut prendre position et voir venir avec sang-froid. Le roi est fort calme, nous le sommes autant que lui. Sans aucun bruit, nous ferons des préparatifs plus solides qu’apparens. Nous les rendrons apparens, si la situation le commande et si les égards dus à l’opinion le rendent convenable[1]. » Paroles excellentes qu’approuvait fort M. Guizot, et qui ne respiraient pas la guerre révolutionnaire. « Choisir le moment d’agir pour se jeter dans une fissure et séparer la coalition, » c’était là tout à fait la guerre politique, la seule qui pût rendre à la France en Europe sa liberté d’action et son légitime ascendant ; mais il était à craindre que la guerre politique ne cédât peu à peu la place à la guerre révolutionnaire, il était même à craindre, si je me souviens bien de ce que je sentais à cette époque, que nous eussions la politique révolutionnaire plutôt encore que la guerre révolutionnaire. L’une en effet précède l’autre, et souvent même l’empêche ou l’entrave. Le parti républicain de 1831 et 1832 trouvait l’occasion favorable pour regagner le terrain qu’il avait perdu. Il substituait donc peu à peu la guerre révolutionnaire à la guerre toute politique que souhaitait M. Thiers, une guerre de principes en Europe à une guerre de limites en Syrie, et cette substitution funeste se faisait sans même que le ministère le voulût. Que devait-il arriver de là ? Il devait arriver que l’Europe, voyant s’opérer cette substitution inattendue, devenait plus défiante, plus hostile, et que l’idée de la coalition anti-française remplaçait peu à peu l’idée de la coalition anti-égyptienne. Cette situation violente et difficile finit en France et en Europe par l’entrée de M. Guizot aux

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