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au centre même, de l’Asie-Mineure[1], les contre-pèsera l’une par l’autre, laissera les Russes protéger les populations qui lui sont sympathiques[2], laissera les Anglais communiquer avec leurs Indes pour le bénéfice du monde, laissera l’Autriche dominer dans l’Adriatique, sa nouvelle mer[3], et, au lieu de faire obstacle et empêchement à tous, faisant concours et assistance aux intérêts naturels de tous, trouvera son propre intérêt, sa propre influence, sa propre richesse dans une nouvelle balance de l’Orient dont elle sera la tige en Europe et dont elle tiendra les contre-poids en Orient ! »

Je dois ajouter, pour être exact, que ces paroles sont suivies au Moniteur de cette mention : rumeurs dubitatives. Il pouvait y avoir doute en effet ; mais le doute tenait, j’en suis convaincu, à ce que personne peut-être encore à cette époque ne croyait les populations chrétiennes de l’Orient capables d’indépendance ou d’autonomie. Telle était cependant, telle devait être la pensée de M. de Lamartine. Sans cela, son discours aurait tendu au partage de l’empire ottoman. Aussi on prit alors le discours de M. de Lamartine pour un projet de partage, et c’est de cette manière que M. Villemain le réfuta avec beaucoup de succès : partage dangereux, disait-on, car la France ne pouvait avoir sa part en Orient que par des compensations difficiles et litigieuses, puisqu’elles se feraient aux dépens même de ceux qui n’auraient pas de lot dans le partage ; singulier arrangement en effet, et qui est aujourd’hui encore le vice radical de tout plan de partage de l’empire ottoman. Il fallait en 1840 dire au Piémont : « L’Autriche a obtenu la Bosnie, l’Albanie et l’Épire, cédez-nous la Savoie, Nice et Gênes ; » à la Prusse : « La Russie a obtenu Constantinople et la Bulgarie, cédez-nous le grand-duché du Rhin ; » à la Bavière rhénane et à la Belgique : « L’Angleterre a obtenu l’Égypte « t l’île de Chypre, vous, cédez-nous Worms et Spire, et vous, cédez-nous tout ce que vous avez ! » De pareils marchés ne seront jamais proposables.

Je ne m’explique pas bien, je l’avoue, comment M. de Lamartine ne répondait pas alors qu’en défendant la cause des populations chrétiennes de l’Orient, en voulant les soulager du poids du cadavre turc qui les écrasait, ce n’était pas le partage de l’Orient qu’il proposait, c’était la renaissance de l’Orient chrétien. Peut-être, s’il avait parlé ainsi en 1840, personne, encore un coup, ne l’eût compris ; les

  1. Je crois que ces paroles veulent dire que la France se placera moralement entre les deux puissances. Je ne conçois pas en effet que la France puisse prendre en Asie-Mineure une position stratégique, à moins qu’il ne s’agisse d’une position très momentanée.
  2. J’entends une protection, et non un protectorat.
  3. L’Italie aujourd’hui doit prétendre à partager cette mer avec l’Autriche, à moins que l’Angleterre, par les Iles-Ioniennes, ne s’oppose au partage en prenant tout pour elle.