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grande place dans les relations avec l’Amérique du Sud. « Il y a donc un avenir immense ! » ajoutait l’orateur.

Ce qui semblait une utopie à cette époque est moins que la réalité aujourd’hui et les prévisions de M. Thiers ont été dépassées. Ce n’est pas le chiffre de 200 millions qu’a atteint en dix ans le commerce de la France avec l’Amérique, c’est le chiffre de 458 millions ! Il avait pourtant commencé humblement : il était en 1825 de 12 millions. Le commerce français s’est partout accru rapidement en Amérique, dans le Rio de la Plata, au Pérou, au Chili, au Brésil, et, chose plus remarquable, il a dépassé en certains pays le commerce anglais lui-même. À quoi tient cet accroissement du commerce français, partout sensible, excepté au Mexique, où il y a eu au contraire une diminution, suite inévitable de la décomposition du pays ? Il y a sans doute l’affinité de civilisation, de mœurs, de race, d’éducation ; mais en même temps M. Calvo n’hésite pas à signaler comme une des causes de ce progrès l’esprit de ménagement et de conciliation dont la France se montre animée dans ses relations avec l’Amérique, une politique plus humaine, moins violente pour les états faibles que n’est d’habitude la politique de l’Angleterre. Voilà des faits qui ne sont point à négliger, qu’il faut peser au contraire dans ce qu’ils ont de moral et de matériel, quand il s’agit des relations de la France avec le Nouveau-Monde, quand on se trouve conduit à cette nécessité extrême des interventions, des réclamations.

Les interventions, les réclamations, les demandes d’indemnités,’c’est là, il faut le dire, le cauchemar permanent de l’Amérique du Sud, et plus d’un Américain a songé à provoquer la formation d’une sorte de confédération de tous les états du Nouveau-Monde, ne fût-ce que pour créer une force défensive suffisante et opposer une résistance commune aux pressions périodiques de l’Europe. Qu’il y ait parfois quelque exagération et quelque péril dans ce système, qui tend à faire peser de si sévères responsabilités sur les gouvernemens sud-américains, qu’il y ait des abus dans ces demandes d’indemnités qui se sont multipliées, cela est bien possible ; mais il y a pour rassurer et désarmer l’Europe un moyen bien plus simple que tous les projets de résistance et les combinaisons d’un droit nouveau américain, c’est de créer enfin un ordre régulier où tous les intérêts nationaux et étrangers soient garantis, où les relations des deux continens soient à l’abri de ces violentes secousses qui se reproduisent trop souvent, et où les seules interventions possibles soient celles du travail, de l’industrie, des immigrations allant du vieux monde dans le nouveau pour y porter et y féconder les germes de la civilisation. Cet avenir est, je crois, celui qu’entrevoit patriotiquement M. Calvo, et c’est déjà s’y préparer que de montrer par l’étude du passé comment l’Amérique du Sud a cheminé jusqu’ici dans cette voie laborieuse et difficile des révolutions politiques et diplomatiques.


CH. DE MAZADE.


V. DE MARS.