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au milieu des passions ardentes du XVIe siècle et en présence d’un fils et d’un roi tel qu’était Charles IX ! Les relations vénitiennes tracent de lui un portrait qui fait trembler : il lui fallait des exercices violens, jusqu’à battre une enclume trois ou quatre heures durant, se livrant avec fureur à l’escrime, à la paume, à la chasse surtout, restant à cheval douze ou quatorze heures consécutives, poursuivant à travers bois le même cerf pendant deux ou trois jours, ne s’arrêtant que pour manger, ne se reposant qu’un instant dans la nuit… À ce maniaque, roi absolu, Coligny offre la perspective de la guerre. Pendant une absence de la reine-mère, il soumet à Charles IX le plan d’une expédition contre les Espagnols, d’accord avec le prince d’Orange. Quand Catherine revient, elle se voit supplantée auprès de son fils, et par qui ? Par le chef déclaré de ce parti huguenot, dont le triomphe serait à ses yeux la ruine absolue de sa famille. C’est ce même Coligny, qui, dès le 22 août 1560, a osé présenter deux suppliques demandant l’établissement de deux églises dans deux parties de la France, afin que ceux de la religion pussent exercer plus commodément leurs rites sans que personne les inquiétât. Sans doute il aspirait d’abord à un partage du pouvoir pour l’usurper tout entier ensuite. Catherine le voyait maître de l’esprit du roi, qui s’élançait vers cette idée de la guerre, comme vers toute perspective nouvelle, avec une intempérante ardeur. Il ne pouvait plus se passer de l’amiral ; il le gardait dans sa chambre à coucher jusque fort avant dans la nuit, calculant les armées, supputant les marches… Coligny, par cette obsession, devenait pour Catherine un redoutable obstacle. Les ambassadeurs vénitiens n’hésitent pas à affirmer que ce fut alors qu’elle résolut de le tuer.

Catherine aurait ourdi ce complot avec le lâche duc d’Anjou, plus tard Henri III, objet de sa constante prédilection. Elle commença par reconquérir Charles IX, ce qui lui fut aisé, grâce à l’espèce de fascination qu’elle exerçait sur lui. Dans une séance du conseil, la proposition de l’amiral, la veille incontestée, fut examinée de nouveau et rejetée. L’amiral était présent ; il dit que le roi aurait assurément lieu de s’en repentir. Il ajouta qu’ayant promis son secours au prince d’Orange, il s’efforcerait de sauver son honneur à l’aide de ses parens et de ses amis, et de servir de sa propre personne, s’il en était besoin. Puis, se tournant vers la reine-mère : « Madame, dit-il, le roi renonce à entrer dans une guerre… Dieu veuille qu’il ne lui en survienne pas une autre, à laquelle sans doute il ne lui serait pas aussi facile de renoncer ! » C’est là un document très curieux et très nouveau. De quelle guerre l’amiral voulait-il parler ? Reviendrait-il en France vainqueur à la tête des Français et des Allemands qui l’auraient servi ? Il faut rapprocher ces paroles de la prétendue lettre que M. Baschet mentionne plus loin, mais qu’il n’a pas vue et dont il n’affirme pas l’existence, par laquelle il serait prouvé que le parti de l’amiral et l’amiral lui-même, de concert, cette fois encore, avec le prince d’Orange, préparaient, deux mois avant la Saint-Barthélémy, un massacre des catholiques. Cette lettre aurait été saisie par Catherine, et elle s’en serait servie, ainsi que des paroles imprudentes que nous avons citées, pour faire naître dans l’imagination de son fils, aisément ébranlée, soit de vagues terreurs, soit des appétits conformes à son humeur nouvelle, et pour lui offrir dans un massacre sans