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Guéronnière ne tient compte ni de l’intérêt italien, ni du principe catholique, et assigne à la France un rôle doublement contradictoire et purement arbitraire. Les considérations relatives à l’intérêt de l’Italie, à ses pressantes nécessités d’existence, le rédacteur de la France, cela va sans dire, se garde bien de les aborder ; il s’abstient de soutenir ce paradoxe, qu’il est utile à l’Italie de n’avoir pas Rome ; il n’essaie pas même de prouver que l’Italie peut se passer de sa capitale. Quoiqu’il appuie la conclusion pratique des catholiques, il serait difficile de deviner s’il adopte leur principe, s’il pense en effet que le pouvoir temporel est inséparable du pontificat suprême. Cependant le principe catholique n’admet pas de compromis ni d’équivoque. Le même droit qu’aurait la papauté à posséder Rome, elle l’avait à posséder la partie de ses états qui depuis trois ans lui a été enlevée. Or, dans la brochure le Pape et le Congrès, M. de La Guéronnière a tenté de persuader au pape, au mépris de la logique catholique, qu’il pouvait se passer de ses provinces, que Rome et le jardin lui suffisaient. Ainsi deux droits sont en présence dans la question romaine : le droit moderne, le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes, et le droit légitimiste, le droit de la souveraineté théocratique. La France a moralement aidé l’Italie dans la revendication du droit moderne, en vertu duquel les Légations, les Marches et l’Ombrie ont été enlevées au pape ; elle protège matériellement la papauté dans la possession du dernier lambeau du pouvoir temporel, et c’est dans cette contradiction injustifiable que M. de La Guéronnière et les influences représentées par lui veulent immobiliser la politique de la France. Conservateurs singuliers et libéraux non moins bizarres, ils s’efforcent d’enfermer la politique impériale dans un système qui, violant l’un et l’autre droit, ne puiserait de force dans aucun principe, qui condamnerait l’Italie à une existence incomplète et précaire, la papauté à la faiblesse et à l’humiliation, qui n’obtiendrait la reconnaissance d’aucun des partis rivaux et provoquerait leur réprobation commune. Nous ne pouvons pas opposer un veto permanent et absolu aux aspirations des Italiens vers Rome, puisque nous reconnaissons le droit des nationalités et puisque nous professons le principe de non-intervention : nous ne pouvons pas garantir à la papauté le maintien de la souveraineté temporelle, puisque l’esprit de la révolution française nous impose partout la séparation du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir politique. Tant donc que dure la position fausse où nous place l’occupation de Rome, nous ne pouvons faire ni aux réclamations des Italiens, ni aux récriminations de la cour romaine, aucune réponse fondée en logique et en droit. Pour prolonger une situation qui tient en souffrance deux intérêts si vastes, celui d’une nation renaissante et celui d’une croyance religieuse troublée, on veut que la France, sans souci de la consistance de ses idées, aveugle et insensible aux conséquences de son irrésolution, n’ait à présenter, pour expliquer sa conduite, que la signification arbitraire de son caprice et de son bon plaisir.

On cherche, nous le savons, à dissimuler la brutalité de cette conclusion sous