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fait que nous laisser entrevoir ; mais avant qu’il ne fût conjuré, quels regrets n’éveillait-il point dans les esprits auxquels nous faisons allusion ! Ah ! se disait-on, il nous eût été possible de n’avoir plus à notre charge cette question romaine ; la cour de Rome elle-même nous en relevait au moment où Garibaldi, par son irruption triomphante dans le royaume de Naples, nous contraignit à reprendre ce fardeau. Nous n’avions pas interdit au ministère Rattazzi, bien au contraire, d’espérer que nous lui procurerions le succès d’une solution de la question romaine. Déjà, d’une année à l’autre, de 1861 à 1862, le langage tenu aux chambres laissait voir le progrès qu’avait fait dans notre esprit la pensée de ne point nous immobiliser à Rome pour y être la pierre d’achoppement de l’Italie : nous avions déclaré, par l’organe de M. Billault, que nous étions à Rome sans droit. Si nous eussions été plus prompts à nous décider dans le sens de nos tendances manifestées et nécessaires, nous n’aurions pas Garibaldi sur les bras, nous n’aurions plus Rome à garder, nous ne serions plus la cause ou le prétexte des agitations intérieures de l’Italie, et en tout cas nous ne serions plus étroitement et directement liés à ses luttes intestines. Telles étaient les appréhensions que nous inspirait, tels étaient les regrets qu’excitait en nous l’équipée de Garibaldi. Quel doit être l’effet naturel et logique de l’avortement du mouvement révolutionnaire ? Maintenant que notre honneur militaire n’est plus en question, et que, par la défaite de Garibaldi, nous recouvrons notre libre action politique, ne sommes-nous pas en quelque sorte mis par la fortune en demeure de rendre impossible le retour de ces appréhensions et de ces regrets, en faisant disparaître enfin l’état de choses qui hier encore nous les infligeait comme un amer souci ?

Le tour inopiné que les événemens viennent de prendre en Italie nous impose donc le devoir et nous fournit l’occasion de travailler à la prochaine solution de la question romaine : nous ne serions plus excusables, si nous nous laissions encore une fois surprendre dans une politique d’indécision et d’inertie par quelque nouveau soubresaut révolutionnaire. C’est au point de vue de l’intérêt de la France que nous envisageons d’abord l’opportunité d’une détermination prompte à l’endroit de Rome. Avant tout sans doute, il faut nous inspirer de l’intérêt français ; mais en cette circonstance l’intérêt français coïncide merveilleusement avec les devoirs d’équité que nous avons à remplir envers le gouvernement du roi Victor-Emmanuel et envers la nation italienne. En somme, le gouvernement de Turin, mis en péril par notre intervention prolongée dans l’état romain, vient, par ses seules forces, de surmonter les difficultés que nous lui créons par notre inconséquence : il a voulu et il a su empêcher le parti de l’action et Garibaldi de brouiller l’Italie avec la France. Les populations italiennes viennent, elles aussi, de faire leurs preuves de sagesse et de sang-froid : elles ont montré qu’elles étaient capables de résister au prestige d’un homme qu’elles ne peuvent point ne pas aimer, lorsque cet homme impatient voulait, à l’accomplissement immédiat du vœu national, sacrifier les conditions du gouvernement