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Comment il se fait que l’entreprise garibaldienne ait eu un si prompt dénomment, c’est ce qu’il n’est point encore possible d’expliquer par le détail. Quant à nous, nous n’avons pas même compris jusqu’à présent comment Garibaldi avait pu, sans être traversé dans son projet, préparer durant plusieurs semaines les élémens de l’expédition qui vient d’avorter. L’inertie et le sang-froid du parlement et du ministère italiens pendant que se faisaient les enrôlemens, et qu’au su de tout le monde des volontaires s’embarquaient pour la Sicile, étaient pour nous un sujet de profond étonnement. Les Italiens, nous le savons, n’aiment point à se hâter et laissent volontiers les choses suivre leur cours. Puis, dans les périodes de nouveautés telles que celle où est l’Italie, les gouvernemens admettent une certaine politique relâchée, et il ne nous est pas démontré que l’on n’ait pas laissé faire d’abord les volontaires, dans la pensée, caressée jusqu’au dernier moment, que l’orage garibaldien avait une autre destination que l’Italie. Les populations italiennes avaient pris d’ailleurs l’habitude de croire à des ententes secrètes entre Garibaldi et le gouvernement du roi Victor-Emmanuel, et cette habitude a entretenu, comme on l’a vu, la confusion dans l’esprit des Siciliens. Même après que le ministère a eu pris le parti de la répression énergique, les agens spéciaux envoyés par lui en Sicile pour étouffer l’entreprise garibaldienne ont montré une hésitation que l’on ne peut expliquer que par une tendance invétérée à la temporisation diplomatique. On assure que le général Cugia par exemple était investi de pouvoirs discrétionnaires plus que suffisans, qu’il eût pu finir l’affaire à Ficuzza, où il envoya des parlementaires à Garibaldi, et que cette fois, plus enclin aux moyens diplomatiques que le ministère ne l’eût désiré, il laissa échapper l’occasion d’étouffer la rébellion à sa naissance. S’il en est ainsi, il faut regretter que le général Cugia ait été trop circonspect, car tous les intérêts engagés dans la question italienne, même celui de Garibaldi, exigeaient qu’il fût mis fin à cet incident le plus tôt qu’il serait possible.

La tolérance des commandans des deux frégates italiennes qui ont laissé sortir Garibaldi de Catane est bien plus surprenante encore ; il paraît qu’il faut aussi l’attribuer à l’hésitation naturelle au tempérament national, et dont ces officiers n’ont pas pu se défaire assez vite, même après avoir vu cesser la longue irrésolution de leur gouvernement. Quant à l’échec final de Garibaldi, nous en ignorons encore les causes accidentelles. Il est cependant facile d’en discerner la cause générale. Les populations, averties enfin par la série des actes énergiques du gouvernement italien, n’ont pas tardé à comprendre que leur ancienne idole ne pouvait plus compter cette fois sur de hautes connivences, que par conséquent l’attrait du succès probable manquait à cette entreprise, et que suivre Garibaldi, c’était prendre le chemin non du facile triomphe, mais du pénible martyre. Garibaldi lui-même, qui semblait vouloir éviter toute collision avec les troupes régulières, qui avait l’air de chercher surtout à établir dans les montagnes un foyer d’agitation qui pût un jour susciter ou soutenir une démonstration puissante en