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l’autre révolutionnaire. Dans la première, on prend en considération les ressources naturelles du pays, ses engagemens antérieurs et les charges nouvelles qu’il peut encore porter sans fléchir. On respecte les droits acquis, on évite de troubler les intérêts et les habitudes, on introduit l’ordre dans la destruction et l’économie dans le sacrifice. La guerre révolutionnaire a d’autres allures : sa seule loi est le salut commun. Ce qu’il lui faut pour combattre, elle le prend où elle le trouve, sans compter. Elle ne connaît ni crédit public, ni prospérité privée, ni passé, ni lendemain. De tous les contrats, il ne reste plus, comme on l’a dit en 93, que deux pactes, l’un avec la victoire, l’autre avec la mort. Un peuple monté à ce point n’est pas facile à dompter dans son premier élan ; mais s’il fléchit, il est accablé, parce qu’il n’a pas de réserve.

Dans la lutte qui a déchiré l’Union, il est facile de voir que les états du sud ont débuté par la guerre révolutionnaire : c’est le secret de leur longue et énergique résistance. On n’emploie ces moyens désespérés que lorsqu’on ne peut pas faire autrement. Le nord avait des ressources incomparables pour la guerre régulière : il s’y est tenu jusqu’à présent. Il a voulu combiner les plus énormes sacrifices avec le ménagement des droits et des intérêts. La guerre révolutionnaire est une ressource suprême qui lui reste encore.

Ce fut en 1790 que l’Union américaine se constitua définitivement par l’alliance de quatorze états. On fit alors le relevé des dettes que l’on pouvait considérer comme collectives, et il se trouva qu’elles montaient à 377,317,380 francs[1]. Tel fut le point de départ de la dette nationale : pour une population d’environ quatre millions d’individus libres, l’annuité à payer correspondait à 6 fr. par tête. Les systèmes financiers de l’Europe n’avaient pas jeté leurs fausses lueurs dans les esprits. On ne soupçonnait pas qu’il fût nécessaire d’établir des rentes perpétuelles pour procurer des moyens de placement aux gens économes et à l’état des ressources toujours renaissantes. On ne connaissait pas ces merveilleux systèmes d’amortissement qui donnent tant de facilité pour augmenter les dettes. Les compatriotes de Franklin avaient la simplicité de croire qu’un état doit être régi comme une ferme, qu’il faut emprunter le moins possible, rembourser le plus vite qu’on peut, amortir en réalité et au jour le jour par l’excédant des recettes sur les dépenses, refouler le capital économisé dans l’industrie, et ne le détourner des emplois reproducteurs que dans les cas de nécessité absolue. L’unification de la dette, l’élasticité du crédit et autres grands mots n’auraient pas été compris. Le trésor demandait strictement la somme dont il avait besoin au cours du jour en stipulant la date du remboursement.

  1. Il y avait eu, pendant la guerre de l’indépendance, des émissions désordonnées d’assignats dont on n’a pas tenu compte à la paix.