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que cet ensemble inattendu et cette unité de décors ; puis chaque vase pris à part semblait un modèle d’élégance. Rien d’aussi pur et d’aussi distingué que l’ornementation de ces frises, simple branche de feuillage sculptée en relief et vivement dorée, se détachant sur ce fond noir comme une ceinture autour du vase. Où aviez-vous vu rien de semblable ? Quel cabinet, quel musée vous en offrait le moindre exemple ? Et ce n’était pas une pièce isolée, c’était un groupe, une famille, vingt-trois vases en un mot, faisant cortège, pour ainsi dire, à celui qui les dominait tous, comme un monarque dans sa cour. Pour le décrire, ce roi des vases, les paroles que nous avons citées, quelque vives et presque hyperboliques qu’elles puissent paraître, n’en sont pas moins encore tout à fait impuissantes. Ici les feuilles d’or n’étaient plus l’ornement principal ; bien que plus importantes et plus multipliées, elles servaient seulement d’accompagnement, de cadre à la véritable frise, à ce bas-relief circulaire formant autour du vase comme un cordon de figurines, délicieux spécimen de statuaire polychrome. L’esprit, la pose, l’attitude de ces douze divinités (c’est bien là leur nombre, ce nous semble), la finesse du modelé, la douce harmonie des teintes, et avant tout la franchise du style, également exempt d’archaïsme et de convention, accusant nettement les beaux temps de l’art grec, nous ne savons pas de mots pour peindre tout cela, pour en donner seulement une idée.

Comprend-on maintenant nos regrets ? Quel effet eût produit dans nos salles du Louvre l’apparition de ces vases de Cumes en compagnie des vases de Ruvo ? A la bonne heure, c’était, là quelque chose qu’on pouvait annoncer, prôner autant qu’on eût voulu, sans crainte d’en trop dire, sans préparer de mécompte à personne. Les ignorans comme les doctes, tout le monde eût été pris. Le grand vase de Cumes surtout est un de ces chefs-d’œuvre d’un effet infaillible. Nous ne craignons pas de dire que depuis la Vénus de Milo aucune œuvre de l’antiquité n’aurait excité chez nous, dans un genre différent, une admiration plus vive, plus populaire, et exercé sur le goût un plus salutaire effet. Ne pas l’avoir, c’est donc un crève-cœur. Autant nous nous félicitons que, dans un accès de libéralité grandiose, le pays se soit fait cadeau de cette immense galerie, autant pour nous c’est chose triste qu’il faille y constater une telle lacune. Était-ce une raison pour ne rien acquérir, et parce qu’on arrivait trop tard fallait-il renoncer à tout ? non, assurément non ; mais c’était un motif, quelques compensations qu’on offrît aux artistes et surtout aux savans, de ne manifester qu’une joie plus modeste, un enthousiasme plus tempéré, et de ne pas provoquer, chez l’étranger surtout, de trop faciles représailles. Il fallait dire tout franchement