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accaparement sans partage qui a été mis en pratique dans une autre section de la série des vases, tout autrement précieux, à notre avis, même que les vases de Ruvo. Ceux-ci n’ont en effet, à l’exception de leur grande taille et d’une certaine perfection relative, rien au fond qui les caractérise, rien qui les classe à part de tous les autres vases ; ils sont de même genre, décorés de même style, peints des mêmes couleurs, tandis que nous allons parler d’une catégorie absolument nouvelle, où le système décoratif est fondé sur un autre principe que dans tous les vases peints jusqu’à présent connus. Aussi ne saurions-nous dire quelle fut notre émotion en entrant dans la salle où ces trésors étaient gardés. Nous étions prévenu pourtant ; nous savions ce qui nous attendait. À son retour de Rome, en janvier 1854, M. Raoul Rochette avait écrit au savant professeur de Berlin, M. Gerhard, une lettre rendue publique, dans laquelle nous avions lu ces mots : « J’ai vu à Rome, chez M. Campana, les principaux résultats des fouilles de Cumes, acquis de son altesse royale le comte de Syracuse et d’autres particuliers. Dans le nombre de ces objets, il y a un vase qui est unique au monde par la beauté de la fabrique et par une circonstance, jusqu’ici encore sans exemple, qui le rend le monument le plus célèbre peut-être de la céramique grecque venu jusqu’à nous. C’est un vase de très grande proportion, à trois manches, à vernis noir, le plus fin et le plus brillant qui se puisse voir : il est orné à plusieurs hauteurs de frises sculptées en terre cuite et dorées ; mais ce qui lui donne une valeur inestimable, c’est une frise de figures de quatre à cinq pouces de hauteur, sculptées en bas-relief, avec les têtes, les pieds et les mains dorés, et les habits peints de couleurs vives, bleues, vertes, du plus beau style qui se puisse imaginer. Plusieurs têtes, dont la dorure s’est détachée, laissent voir le modelé, qui est aussi fin, aussi achevé que celui du plus beau camée antique. En résumé, c’est une merveille à laquelle je ne connais rien de comparable. » Un tel témoignage, à coup sûr, nous préparait à ouvrir de grands yeux. Même en faisant la part de cette exagération naturelle que tout voyageur se permet en racontant ses découvertes, nous ne pouvions douter qu’il n’y eût là quelque chose de tout à fait considérable, une véritable nouveauté. Eh bien ! nous n’aurions eu aucun avis, nous serions venu sans rien savoir, comme au hasard, que notre étonnement n’eût pas été plus grand. D’abord la lettre ne parlait que d’un seul vase, et en effet on commençait par n’en voir qu’un, tant celui-là éclipsait tous les autres ; mais en réalité ils étaient plus de vingt, tous à frises dorées, tous revêtus de ce beau vernis noir, si brillant et si fin, et ne se distinguant les uns des autres que par la diversité des formes. C’était déjà un saisissant spectacle