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Ajoutez-y quelques excellens bustes, un beau bas-relief des Niobides, un sarcophage remarquable, et vous aurez, dans la série des marbres, à peu près fait la part des pièces de premier ordre qui nous manquent. Or de notre côté nous avons en regard autre chose que les trois statues placées dans le salon carré ! Et d’abord un bon nombre de bustes qui ne le cèdent guère à ceux que nous n’avons pas, quelques bonnes statues impériales, et un Amour bandant son arc, de petite dimension, bien mutilé, assez mal rajusté, mais, dans quelques parties, du faire le plus délicat. On pourrait donc, vous le voyez, presque hésiter entre les deux lots.

Ce qu’il faut dire, c’est qu’en fait de statues, de bustes, de bas-reliefs, de marbres sculptés en un mot, il n’y avait, dans tout le musée Campana, rien d’assez beau, d’assez frappant, d’assez vraiment hors ligne pour couper court à toute hésitation et faire qu’au premier regard, chacun désignât la même œuvre, en s’écriant : Voilà la perle de la collection ! Au contraire, le doute et le tâtonnement étaient inévitables. De là cette sorte d’équilibre qui semble exister encore, même après un prélèvement de soixante-dix-huit pièces, entre la part du choix et la part du hasard. Le grand malheur de celle-ci, qui est la nôtre, est de n’avoir pas subi une salutaire épuration. À ces œuvres d’élite qui décorent le salon carré et ses abords, s’ajoute un complément d’une médiocrité lamentable. Vous avez là deux ou trois grandes salles entièrement garnies d’œuvres des plus bas temps et du plus lourd travail. Ce ne sont pas même des fragmens de franche décadence, des jalons archéologiques utiles à consulter ; c’est pis que de la barbarie, c’est le produit inerte d’une civilisation endormie, hébétée, le dernier mot de la Rome impériale. Il fallait à tout prix ne pas exposer ce rebut, ou tout au moins permettre au spectateur d’en éviter la rencontre et lui accorder la liberté de ne pas entrer dans ces salles. Or on a fait tout le contraire : par mesure de police, ces salles sont devenues la sortie nécessaire de tous les visiteurs. On redoutait la foule, et pour régler sa libre circulation, on a forcé les gens, même en pleine solitude, à passer cette triste revue, comme impression dernière du musée Campana. Rien de pareil à l’Ermitage, rien qui descende aussi bas dans le lot de M. Guédéonov ; le choix l’en a garanti ; et néanmoins ; comme chez nous il ne faut que vouloir pour être délivré de ce fastueux superflu, nous maintenons notre dire et croyons fermement que dans la série des marbres la part qui nous revient et celle qui nous échappe sont, tout bien compensé, de valeur à peu près égale. M. le commissaire russe se récriera peut-être, car sur ce chapitre des marbres ses illusions nous semblent grandes. Qu’il se rassure ; nous allons, malgré nous, lui donner sa revanche, car nous voici