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(27 juillet 1469). Le prince, disait-il, était la main droite de son père ; privé d’un tel appui, l’hérétique était incapable de résister bien longtemps. Ces fanfaronnades, répétées jusqu’à Rome par des imaginations impatientes, furent bientôt démenties par les faits. En réalité, le prince Victorin, malgré son éclatante bravoure, était plutôt un embarras qu’un appui pour la cause nationale. Le roi, dans sa tendresse imprudente, ne pouvait se décider à lui retirer le commandement général des troupes, et il laissait au second rang des hommes de guerre formés à son école, des chefs aussi expérimenté qu’intrépides, dont tous les conseils venaient échouer contre la folle témérité du jeune prince. « Si le roi, écrivait Grégoire de Heimbourg, avait confié ses soldats à de véritables capitaines, la guerre qu’il fait depuis trois ans eût été plus heureuse. La bravoure ne suffit pas à qui prétend conduire une armée. À part la douleur du roi, la captivité du prince Victorin n’est donc pas un malheur pour l’état, et, grâce à Dieu, le roi, malgré l’affliction qu’il éprouve, est plus confiant que jamais. » Grégoire de Heimbourg avait le droit de prononcer ces sévères paroles sur le fils de son maître, car il avait redouté dès le début de la guerre les entraînemens irréfléchis du prince, il avait même essayé de lui apprendre son rôle de capitaine dans un recueil de conseils expressément composé pour lui[1], leçons excellentes que l’impétueux jeune homme oubliait toujours au bruit du clairon et au cliquetis des armes. On vit bientôt que le malheur du fils de George n’avançait en rien les affaires de Mathias. Tandis que le prince Victorin, prisonnier de son beau-frère, était enfermé dans une forteresse au bord du Danube, les Bohémiens poursuivaient leurs avantages sur les Hongrois. Du mois d’août à la fin d’octobre, les opérations de l’armée royale se concentrent autour de la ville de Hradisch, assiégée par les Hongrois. Enfin le 2 novembre, les Bohémiens, sous la conduite du roi, ayant réussi par une fuite simulée à faire sortir l’ennemi d’une position inexpugnable, le second fils du roi, le prince Henri, exécutant avec autant de précision que de vigueur les ordres de son père, se retourne brusquement contre Mathias, bat l’un après l’autre ses cinq corps d’armée, les culbute, les écrase, et poursuit les fuyards l’épée dans les reins jusque sur le territoire de la Hongrie. Mathias demande une suspension d’armes ; le roi George ne faiblira pas cette fois, il veut profiter de sa victoire, et nul doute qu’il eût achevé la destruction de l’armée magyare, si un hiver terrible, un hiver tel que de mémoire d’homme il n’y en avait jamais eu dans ces contrées, n’était venu placer les troupes décimées de Mathias à l’abri des coups du vainqueur.

  1. De Mihtia et de re publica ad ducem Victorinum, auctore Gregorio Heimburgiensi. Cet ouvrage, qui n’a pas été imprimé, fait partie d’un recueil de documens manuscrits connu dans les archives de Bohême sous le titre de Cancellaria régis Georgii.