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scrupules dans la conscience de l’archevêque. Ne serait-ce pas une conspiration contre l’empire ? se demandait le prélat. Ce n’est pas une conspiration, répond Grégoire ; c’est l’exercice d’un droit naturel. Grégoire de Heimbourg avait raison : le roi de Bohême et son ministre, en poursuivant l’union des Tchèques et des Magyars, obéissaient à une inspiration de génie. Les deux peuples, étrangers de race et de langue au milieu du monde germanique, n’étaient-ils pas nécessaires l’un à l’autre ? La ruine de la Bohème, provoquée par la fureur du pape, ne devait-elle pas profiter surtout à la maison d’Autriche ? Une fois les Bohémiens abattus, les Hongrois n’auraient-ils pas leur tour ? Grégoire, sans s’exprimer avec cette précision, a eu pourtant le mérite de pressentir ces choses avec une sagacité supérieure, et l’histoire, on le sait trop, a consacré ses vues. L’archevêque paraissait accueillir favorablement ses idées ; il est douteux cependant qu’il les eût fait triompher, et, sans les événémens qui appelèrent Mathias Corvin du côté de l’Orient, on peut croire que le pape eût trouvé son soldat des l’année 1466. Une nouvelle invasion des Turcs obligea le roi de Hongrie à porter ses forces sur le Danube. D’ailleurs une autre guerre, et toute différente l’empêchait de répondre aux appels de Paul II ; c’est le moment où le fils d’Hunyade, réveillant les plus mauvais instincts de la race d’Attila, exécute contre les soldats chrétiens de la Roumanie les attentats horribles qu’il commettra bientôt contre la Bohême.

Il n’y avait plus que deux princes à qui le saint-siège pût s’adresser, le roi de Pologne et l’empereur ; mais comment vaincre, les irrésolutions de l’empereur ? Comment entraîner dans une telle lutte le doux et pacifique souverain de la Pologne ? L’empereur ne se déclarait jamais, il préparait dans l’ombre le fil de ses intrigues, agissait en faisant agir ses alliés, s’appliquait à ne point se compromettre, et n’avait qu’une visée dans toutes les questions : l’agrandissement de l’Autriche. Le roi de Pologne était dégoûté de la guerre, bien qu’il la fit alors très bravement contre les ordres teutoniques ; il y avait épuisé ses ressources malgré de nombreuses victoires, et n’était pas homme à courir de folles aventures. La chasse, le repos, une cour brillante et somptueuse, voilà ce qu’il fallait au roi Casimir, et non cette couronne de Bohême que lui offrait Paul II. Il aimait d’ailleurs le roi de Bohême et trouvait sa cause juste. Le légat, Rodolphe de Lavant, essaya en vain des menaces et des promesses ; il eut beau imposer la paix aux ordres teutoniques pour rendre à la Pologne sa liberté d’action : Casimir profita de cette paix et refusa de s’engager à rien. Craignant même que le traité conclu en son nom par le légat ne donnât lieu à de fausses rumeurs, il envoya des ambassadeurs en Bohême pour tout révéler au roi George et l’assurer de sa loyale amitié. Ainsi ni la Hongrie, ni l’Autriche, ni la Pologne