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de s’embarquer pour l’Inde, il était allé dire adieu à une jeune fille qu’il aimait sans s’être déclaré, et en partie pour cacher son trouble sous les formes d’une vieille galanterie chevaleresque, il lui avait baisé la main en mettant un genou à terre. Le respect de la jeune fille pour sa main baisée, la tranquillité avec laquelle elle réserve son cœur en se disant qu’il sera pour lui s’il le demande, le retour de Mansfield qui n’a pas oublié et qui le demande, son bonheur enfin et la mort de la seule femme qu’il ait aimée après trois ans à peine de mariage, tout cet épisode forme un arrière-plan qui jette un intérêt particulier sur les opinions du général, car c’est ce même homme qui a aimé et qui a connu les horreurs de la guerre, qui a possédé et qui a perdu la seule joie infinie de la terre, c’est cet homme capable d’affection et de désespoir qui parle ainsi de la vie :


« Pour moi, si j’avais quelque talent d’expression, si j’étais capable de prononcer ou d’écrire une parole qui pût remuer ou convaincre une douzaine d’hommes en Angleterre, je prendrais pour texte ce fait merveilleux de l’existence humaine. Je voudrais dire mon mot pour faire aimer, admirer ce grand don de la vie. Je voudrais montrer comment à lui seul il renferme d’innombrables trésors, — des trésors, entendons-nous, qu’il s’agit en général de gagner, de conquérir par l’énergie et de défendre par la fermeté. J’ai bien peu à offrir à l’inertie ou à la pusillanimité. Le progrès ! les beaux jours à venir ! Soit ! Croyez dévotement au progrès : c’est une généreuse et noble foi ; mais elle ne signifie rien, excepté chez l’esprit noble et généreux. Le progrès ! oui certes, autant que possible ; mais si, dans le monde tel qu’il est, vous ne trouvez rien qui soit digne de votre amour et de votre admiration, vous auriez beau vivre des milliers d’années, vous ne retireriez aucun bénéfice du progrès de l’espèce. Si cette vie de tous les jours, avec ses affections et son mouvement de pensées, avec ses joyeuses surprises et ses tendres chagrins, si ces choses vulgaires n’ont pas gagné votre respect, je ne sais pour ma part quelle utopie pourrait valoir un fétu… Ces banalités-là dureront, je l’imagine, aussi longtemps que les autres banalités qui s’appellent la terre, le soleil, les étoiles. Si, je le répète, vous ne trouvez rien de divin dans l’amour de la femme et de l’enfant, dans l’amitié, dans les volontés énergiques tendant au bien général, d’où attendez-vous donc votre progrès ? de quels élémens espérez-vous le voir sortir ? »


La philosophie de l’auteur s’indique assez complètement dans ces paroles, et elle s’y montre par son meilleur côté : on sent là qu’il n’est pas seulement un raisonneur optimiste, et qu’il a réellement en lui toutes ces dispositions aimantes et sympathiques qui sont la seule source véritable du contentement ; mais c’est de ses argumens qu’il s’agit. M. Smith n’a pas la prétention d’innover. Il n’a aucun paradoxe à énoncer pour surprendre ou amuser le lecteur. « Ses vues, nous dit-il, sont simplement celles qui doivent se produire à une époque scientifique comme la nôtre. L’optimisme qui viendrait bravement déclarer que nous sommes ici dans le meilleur