Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/987

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le sang qui se répand dans les poumons à travers les mille ramifications de l’artère pulmonaire, par suite une combinaison entre l’oxygène de l’air et le carbone du sang, par suite une combustion toute semblable à celle qui a lieu dans nos foyers, et de la formation d’acide carbonique, production de chaleur, transformation du sang veineux en sang artériel. La respiration, à ce point de vue, parait un phénomène tout chimique. On en peut dire autant de la digestion ; elle consiste en une certaine combinaison qui se forme entre les alimens préparés par la mastication et la salivation et certains sucs que sécrète l’estomac. Généralisez ces faits, et vous aurez une nouvelle manière d’envisager et d’expliquer la vie, une nouvelle doctrine ou du moins une nouvelle tendance ; elle peut s’exprimer ainsi : la vie est un système de réactions chimiques.

Voilà déjà deux systèmes ; mais l’expérience survient, qui leur oppose de graves difficultés. Pour n’en citer qu’une, si la vie n’est qu’un phénomène mécanique ou une combinaison chimique, « d’où vient l’impuissance absolue de la physique et de la chimie à produire le plus petit être organisé ? Nos chimistes modernes font de l’urée, ils font de la stéarine, de la butyrine… Que ne font-ils pas ? On assure que plus d’un se flatte d’arriver à quelque chose d’infiniment plus surprenant. Qu’est-ce à dire ? en reviendrions-nous aux illusions de l’alchimie ? En attendant qu’on nous fasse l’androïde tant espéré des sorciers du moyen âge, je demande qu’on me montre, je ne dis pas un insecte, mais le plus petit végétal, le moindre mycoderme, sorti des cornues de la chimie.

Il faut donc, paraît-il, admettre l’organisation comme un acte sui generis ; mais ici les physiologistes se divisent : les uns font de la vie une propriété de certains corps, de certains tissus ; ils la supposent répandue dans les corps vivans comme la pesanteur est répandue dans tous les corps. Il y a certains corps, disent-ils, qui, outre leurs propriétés physiques et chimiques, manifestent une propriété d’un nouveau genre : ils sont susceptibles de se contracter, de s’irriter, de sentir. Contractilité, irritabilité, sensibilité, ce sont là les formes, les manifestations de la vie, comme la chute des corps est une manifestation de la pesanteur.

Tel est le système un peu indécis auquel se rallient, à des titres divers, Haller, Bichat, et généralement l’école médicale de Paris. On l’appelle l’organicisme, parce que la vie, à ce point de vue, est inséparable des organes vivans. Mais contre l’école de Paris voici l’école de Montpellier qui proteste. Barthez et ses disciples, Dumas, Fouquet, et le plus illustre survivant de cette école, le professeur Lordat, opposent à l’organicisme un grand fait, l’unité de la vie. Si la vie n’est autre chose qu’une force diffuse, semblable à la pesanteur, comment comprendre l’harmonie des fonctions organiques ?