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écrits de Maine de Biran et en a fait ressortir avec force et délicatesse quelques aspects nouveaux ou moins connus[1] ; mais sans rien retrancher à l’originalité de Maine de Biran, il faut convenir que Jouffroy a profité en maître des leçons de ce maître excellent. Maine de Biran d’ailleurs avait admis un critérium trop étroit en assignant pour caractère aux phénomènes psychologiques d’être des produits de l’activité volontaire. Il y avait là le germe d’un système exclusif. Jouffroy est plus large et plus près des faits. Peu importe que la personne morale, le moi, soit cause volontaire et active ou sujet plus ou moins passif d’un phénomène de conscience. Du moment que ce phénomène implique le moi, est rapporté au moi comme à son centre, le phénomène est psychologique.

De là une foule de conséquences, et celle-ci entre autres, à laquelle Jouffroy tenait singulièrement : c’est que la confusion n’est plus possible entre la science des faits internes et la physiologie. En effet, si loin que le physiologiste pénètre dans la profondeur des tissus organiques, à quelque degré de finesse que la micrographie puisse atteindre, les faits que la physiologie observe, si différens d’ailleurs qu’ils puissent être à d’autres égards des phénomènes chimiques et mécaniques, auront toujours avec eux ce point commun d’être des faits objectifs, des faits extérieurs, des faits étrangers à la personne morale, des faits dont la cause reste inaccessible à l’observateur. La psychologie seule à ce privilège d’atteindre autre chose que des faits, des résultats matériels ; elle saisit une cause, une substance, un être un identique, simple, durable, l’être qui a conscience de soi. Et dès lors il n’y a plus à raisonner sur l’origine des faits psychologiques ; il n’y a plus à se perdre en syllogismes, en hypothèses métaphysiques pour démontrer la spiritualité de l’âme, et Kant a eu raison de mettre en poussière tous ces vieux raisonnement. La spiritualité de l’âme est un fait, un fait positif ; un fait aussi éclatant que la lumière du soleil. On cherche encore et on cherchera peut-être toujours ce que c’est que la matière ; mais quant à l’esprit, nous le connaissons, car nous en avons en nous le type, savoir le moi pensant, sentant et voulant.

Arrivé à ces grands résultats, Jouffroy ne put retenir un cri de satisfaction. Il vint lire son mémoire à l’Académie des Sciences morales et politiques en présence de Broussais, ne doutant pas que la

  1. M. Cousin avait déjà rendu un grand service à la philosophie en publiant tout ce qu’il avait pu ressaisir des écrits, alors peu connus et dispersés, de Maine de Biran ; il restait à mettre au jour les derniers travaux de ce grand métaphysicien, surtout l’Essai sur les fondemens de la psychologie, son ouvrage le plus complet et le meilleur. C’est la tache que s’est donnée M. Ernest Naville, digne dépositaire de tous les manuscrits de Maine de Biran. Voyez les Œuvres inédites, publiées en 1859, avec une savante et lumineuse introduction de l’éditeur ; 3 vol. in-8o, chez Dézobry.