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naissante, à Magendie, à Gall, à Broussais. Ces intraitables ennemis du spiritualisme soutenaient que l’idée de constituer à part une science des faits internes était une idée chimérique, que la pensée, la sensation, la volonté, ne sont autre chose que des effets, des prolongemens de la vie organique, par conséquent que la prétendue science appelée psychologique n’est qu’un rameau de la physiologie. Il s’agissait donc pour Jouffroy d’établir qu’il y a une barrière naturelle entre la psychologie et la physiologie, de définir les faits internes et d’en assigner le critérium avec une telle exactitude et une telle précision qu’il fût impossible de le contester.

Ce fut à quoi il s’appliqua de toutes ses forces, soutenu par son rare talent d’analyse psychologique et peut-être aussi inspiré à son insu par les travaux de Maine de Biran. Il se demanda ce que c’est, à parler rigoureusement, qu’un fait interne, un fait psychologique, et ce qui le distingue d’un fait externe en général, et particulièrement d’un fait physiologique. Si on appelait fait interne celui qui n’est pas atteint naturellement par un de nos cinq sens, alors la transformation du sang veineux en sang artériel et la sécrétion de la bile seraient des faits internes aussi bien que l’action de raisonner ou celle de vouloir, car l’hématose et la sécrétion de la bile sont des faits qui se dérobent à la vue et dont la nature ne nous instruit pas. Il faut donc appliquer ici une analyse plus profonde. L’école écossaise appelle fait interne un fait dont nous sommes avertis par la conscience, et considère tout le reste comme des faits externes. À ce compte déjà, la transformation du sang veineux en sang artériel a beau s’opérer dans l’intérieur de mon corps et se dérober à la vue et au toucher ; elle n’en est pas moins un fait externe, en ce sens qu’elle s’opère hors de la conscience. Toutefois ce critérium, qui avait paru longtemps suffisant à Jouffroy, ne lui suffit plus. — Quand je considère, dit-il, un fait physiologique, quand par exemple j’essaie de me rendre compte de l’action des valvules dans la circulation du sang, que puis-je en connaître ? Serais-je un physiologiste de profession, un expérimentateur habitué à l’usage du microscope, mes yeux peuvent-ils saisir la cause de ce phénomène ? Atteignent-ils la force vitale et l’action de cette force sur les valvules des vaisseaux sanguins ? Il est trop clair que non. Qu’atteignent-ils donc ? Le résultat de l’action de cette force, c’est-à-dire un certain mouvement, une certaine disposition extérieure, un certain arrangement de parties, rien de plus.

Or en est-il de même quand j’analyse un fait interne, non plus avec mes sens, mais avec ma conscience ? Je prends pour exemple le mouvement volontaire. Je veux soulever un poids, et j’y réussis. Que se passe-t-il ? Mes muscles se sont raidis, ma main s’est serrée, la résistance que lui opposait le poids du corps a été vaincue. Est-ce