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nette, simple, originale, qu’il se formait de l’homme en résolvant à sa manière le problème de la matière et de l’esprit. Voyez en effet quelle admirable simplicité ! La matière en général n’est autre chose que l’étendue, avec ses deux modes, la figuré et le mouvement. Qu’est-ce en particulier que le corps humain ? Un mode, déterminé de l’étendue universelle, un peu plus compliqué que les autres modes, mais régi par les mêmes lois. Et maintenant qu’est-ce que l’âme humaine ? C’est ce qui en nous sent, imagine, désire, raisonne, veut. Or tout cela, c’est penser. L’âme se réduit donc à la pensée et à ses modes, comme le corps à l’étendue, à la figure et au mouvement. Quoi de plus clair, de plus rigoureux en apparence, que ces définitions, et quoi de plus comparable à la lumineuse précision des sciences mathématiques ! Voyez aussi comme les problèmes de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme se posent et se résolvent simplement ! La pensée excluant les modes de l’étendue, l’étendue excluant les modes de la pensée, il s’ensuit que l’âme est distincte et indépendante du corps. Que ces deux êtres se séparent à la mort, que la pensée survive aux organes, rien de plus aisé à concevoir. Ce qui est difficile à comprendre, ce n’est pas la séparation des deux natures, c’est leur union. Aussi cette union est-elle accidentelle, et la mort ne fait que rendre à l’âme humaine son indépendance naturelle et sa pleine liberté.

On comprend qu’une telle théorie devait rapidement charmer et conquérir un siècle éminemment religieux, De là, le peu de peine qu’eut le XVIIe siècle à se faire cartésien, et certes, ce moment de parfait accord entre tant de brillans génies fut très beau, mais il ne dura pas. De toutes parts le spiritualisme cartésien fut battu en brèche. Les uns attaquèrent sa définition de l’âme, les autres sa définition du corps. Parmi les adversaires de Descartes, un de ceux qui lui portèrent les plus rudes coups, ce fut Stahl, le chimiste ingénieux, le physiologiste éminent, le grand médecin sur lequel se reporte aujourd’hui à bon droit l’attention des philosophes, et dont la pensée profonde, mais un peu enveloppée, a rencontré pour interprète un esprit d’une netteté et d’une justesse singulières, M. Albert Lemoine[1]. C’est surtout le mécanisme cartésien que Stahl attaque dans ses deux représentans les plus illustres, Boerhaave et Hoffmann. Réduire le corps humain à un automate, expliquer la circulation,

  1. Voyez l’écrit intitulé Stahl et l’Animisme (Paris, clioz Baillière). C’est le physiologiste philosophe dans Stahl que M. Lemoine a surtout étudié. Un autre écrivain compétent a considéré Stahl comme médecin (De Stahl et de sa doctrine médicale, par le docteur Lasègue). Tout récemment enfin, deux savans médecins de Montpellier, M. Blandin et M. Boyer, ont commencé la publication d’une traduction complète des œuvres de Stahl. L’école de Montpellier devait cet hommage au médecin de génie qui, après Hippocrate, a été son plus fécond inspirateur,