Notre siècle, en vieillissant, devient, à ce qu’il semble, de plus en plus positif. C’est l’âge d’or des sciences exactes et de l’industrie, c’est l’âge de fer de la métaphysique. On est las de spéculations abstraites, on a peur de penser. Des faits, des résultats matériels, des applications utiles, voilà ce qu’on demande aux savans et aux philosophes. Au milieu de ce courant d’empirisme qui nous entraîne, il y a cependant pour l’esprit le plus rebelle aux recherches spéculatives, le plus âpre à la curée des biens de ce monde, il y a des momens de crise, des heures de mécompte et de dégoût, où apparaissent tout à coup ces étranges problèmes : — Que suis-je ? où vais-je ? et comment tout cela finira-t-il ? — Ces questions en amènent d’autres : Suis-je tout entier dans ce corps que je soigne et que j’aime, machine admirable, mais bien fragile, bulle de savon semée de couleurs brillantes, que le plus faible choc suffit à briser ? Qu’est-ce après tout que cette enveloppe matérielle ? Une sorte de crible où passe incessamment un flot toujours renouvelé de particules changeantes. Or il faut bien, ne serait-ce que pour conserver à mon corps la forme qui le constitue, qu’il y ait en lui un je ne sais quoi capable de le maintenir, une force cachée, un principe de vie. Et puis, abstraction faite de ma vie organique, est-ce que je ne sens pas au dedans de moi quelque chose qui raisonne, qui rêve, qui souffre, qui jouit, qui