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Si l’absolutisme du saint-siège commence à révolter à cette époque toutes les grandes nations chrétiennes de l’Europe, les hussites d’un autre côté excitaient de vives défiances. On voulait restreindre l’autorité du. pape, on voulait que le pape fût soumis au concile ; mais qui n’eût repoussé avec horreur l’idée de sortir du catholicisme ? Or, il faut bien le dire, c’était l’opinion générale en Europe que les partisans de la coupe sainte avaient rompu avec l’église universelle. Nul n’était mieux fait que l’envoyé du roi George pour détruire ces préventions ; nul ne représentait mieux le nouvel esprit hussite avec sa largeur conciliante et ce grand catholicisme dont il avait l’instinct. Quant à son collègue Antoine de Marini, nous avons déjà dit qu’il était un des chefs de la diplomatie européenne. Chargé de plusieurs missions par Louis XI, très initié à tous ces conflits de l’état et de l’église, qui sont le grand et mystérieux travail du XVe siècle, est-il nécessaire d’ajouter qu’il avait accueilli avec enthousiasme les projets du roi George ?

Le journal de l’ambassade, rédigé par un des secrétaires nommé Jaroslaw et mis en lumière par M. Palacky, est un curieux tableau de l’époque. Quand les envoyés traversent l’Allemagne et la France, le contraste des peuples est vivement accusé. Pour l’homme du peuple, dans les. contrées allemandes, le Bohémien est toujours l’hérétique abominable dont on se détourne avec horreur. Les Français, qui se rappellent Ziska et les fanatiques du Tabor, sont tout étonnés de voir des Bohémiens si nobles, si graves, des chrétiens et non pas des démons d’enfer. Les Bohémiens au contraire sont surpris et scandalisés de la légèreté des mœurs, surtout dans le clergé, du nombre et de l’impudence des femmes de mauvaise vie. Héritiers d’une révolution terrible, ils en ont gardé, la haute sévérité morale en y ajoutant ce qui manquait à leurs pères, la modération dans la force. Ce doublé trait de caractère est peint avec candeur dans le récit détaillé de Jaroslaw. Les ambassadeurs, par ordre du roi, s’étaient arrêtés dans les cours de Stuttgart, de Bade, où ils avaient reçu un accueil très cordial. À Strasbourg, les fiers bourgeois de la ville, comme dit Jaroslaw, leur avaient donné une garde de cent hommes pour les protéger dans les défilés des Vosges contre les brigandages du comte Hans d’Ebersbourg. À Bar-le-Duc, ils passèrent deux jours (13 et 14 juin) chez le roi René, qui les traita magnifiquement. Ils arrivent enfin à Amiens, et s’informent de la résidence du roi Louis XI, qui chassait alors dans les forêts de la Picardie, tout en combinant son autre chasse, son âpre et juste chasse aux tyrannies féodales. Le roi leur donne rendez-vous d’abord à Abbeville, puis bientôt au village de Dompierre, et c’est là qu’il les reçoit dans un petit château-fort environné de marais.

La première audience eut lieu le 30 juin en présence de la reine