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et les escorter par les faubourgs de la ville. Bien que le trajet ne fût pas long, on vit à l’attitude injurieuse du peuple combien était violente et générale l’irritation soulevée par l’empereur. L’impératrice, sous la garde des troupes de Styrie et de Carinthie, récemment arrivées au secours de leur maître, prit la route du château de Neustadt. L’empereur, traversant le Danube à Nussdorf, se porta au-devant du roi de Bohême, qui l’attendait sur la rive gauche du fleuve. Malgré un froid des plus vifs, le roi, à cheval des le matin, y était resté à son poste, afin d’accueillir l’empereur à sa sortie du burg. Les deux souverains se saluèrent avec une grande cordialité ; puis, chevauchant l’un à côté de l’autre, ils se rendirent à Kronenburg, où était le quartier-général du roi de Bohême.

Le roi George employa tous ses soins à la réconciliation des deux frères. Il manda le duc Albert à Kronenburg et le fit introduire dans la grande salle du palais au moment même où il s’y entretenait avec Frédéric III. Aussitôt que le duc aperçut l’empereur, il s’élança vers lui, s’inclina profondément, s’agenouilla presque, non comme un frère devant un frère, mais comme un vassal devant son souverain. L’empereur, détournant la tête, refusa de l’écouter. Le duc renouvela ses hommages, ses prières même, car il demandait à l’empereur de vouloir bien signer sans rancune le traité dont le roi de Bohême avait été l’intermédiaire. L’empereur, marquant toujours une invincible répugnance à lui parler, répondait indirectement en s’adressant à un des seigneurs qui se trouvaient là. Le duc allait s’emporter peut-être, mais le roi, qui s’était retiré à l’écart, s’empressa d’intervenir : « Puisque vous ne pouvez vous entendre, dit-il, c’est à moi de vous imposer la paix en vertu du pouvoir que vous m’avez attribué l’un et l’autre. » Et il leur fit signer le traité par lequel il les mettait d’accord. Ainsi croissait, en face du pape inquiet et soupçonneux, l’autorité morale du roi de Bohême. Pendant les quatre jours que l’empereur passa auprès du roi, il lui montra la plus cordiale amitié. Sa reconnaissance était aussi ardente que sincère, et il la témoignait sous maintes formes. Sans parler des indemnités de guerre promises au royaume, aux villes, à certains barons, à tel ou tel combattant, Frédéric III récompensa son libérateur par de véritables largesses. Les franchises de la Bohême furent augmentées et ses redevances impériales diminuées de moitié. L’empereur s’engagea par écrit à ne plus se mêler des affaires intérieures de la Bohême, si ce n’est sur l’appel du roi et pour lui venir en aide. Le second des fils de George, Hynek (Henri), fut élevé au rang des princes de l’empire. La reine Jeanne reçut une couronne d’or. Enfin voici les marques les plus inattendues de cet enthousiasme de l’empereur pour le roi de Bohême : il décida que s’il venait à mourir avant la majorité de son fils Maximilien, George de Podiebrad serait