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nous l’avons dit, l’ébauche confuse d’un système où l’église-catholique, c’est-à-dire l’église chrétienne universelle, admettrait maintes libertés particulières, ouvrirait son vaste sein à maintes églises nationales. Les Tchèques du XVe siècle, ne se rendant pas compte de leurs idées, paraissaient enfoncés dans une contradiction aussi absurde qu’opiniâtre quand ils disaient sans vouloir en démordre : « Nous sommes hussites, et nous ne cessons pas d’être catholiques ; » mais qu’importe la contradiction ? Un des esprits les plus pénétrans de nos jours a dit que, sans un peu de contradiction, c’est-à-dire sans une certaine ampleur de pensée, on n’aboutit qu’à des vérités étroites et incomplètes. Est-ce qu’il ne nous arrive point, dans notre conduite comme dans nos pensées, de réunir souvent des principes contraires en apparence, dont le lien, quoique réel, nous échappe ? Ce lien nous faisant défaut, notre conduite est illogique, notre pensée est contradictoire ; il nous est impossible d’en rendre raison. Nous persistons cependant ; pourquoi ? Parce que l’instinct, dans son premier essor, va quelquefois plus loin que la pensée réfléchie, parce que nous atteignons tout d’abord par l’inspiration inconsciente des choses qui ne nous seront dévoilées que longtemps après par l’analyse. C’est là un phénomène que nulle psychologie vivante ne saurait contester, et on le retrouve chez les peuples comme chez les individus. Si les Tchèques du XVe siècle avaient pu analyser leurs sentimens comme un moraliste du XIXe, l’apparente contradiction de leur attitude se serait vite évanouie.

Au reste, ce que faisaient les Bohémiens du roi George au grand étonnement de l’étroite logique italienne, nos gallicans le faisaient aussi à leur manière et précisément dans cette même période. « Jamais, dit Bossuet, il ne fut tant parlé qu’à cette époque des libertés de l’église gallicane. » La contradiction que nous venons de signaler, moins grave chez nos savans docteurs, ne se produisait pas avec cette candeur véhémente qui donne aux sujets du roi George une physionomie si originale ; elle avait toutefois-de bien étranges hardiesses. Chose digne de remarque, le système qui réclame à la fois la liberté et l’union, la vie particulière et la vie commune, le système qui voudrait faire de l’église universelle un grand fédéralisme chrétien, apparaît au moment même où le moyen âge finit et où commence le monde moderne : Il apparaît dans deux pays bien différens, chez un peuple de race romane et chez un peuple slave, en France et en Bohême. Il est représenté chez nous par les hardis gallicans du concile de Bourges, et chez les Tchèques par les nouveaux hussites. Or ce système, non formulé encore, et qui est moins une doctrine qu’un pressentiment, la papauté le combat de tout son pouvoir, en France par une diplomatie infatigable, en Bohême par une guerre d’extermination. Qu’arrive-t-il ? Cinquante ans après,