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communier publiquement sous une seule espèce, qu’il fasse communier avec lui la reine, ses enfans, toute la cour ; le peuple le suivra sans résistance, car le roi est aimé, et le peuple en tout pays imite volontiers le roi qu’il aime. Et vous, maîtres, docteurs, excitez à l’obéissance envers nous toutes les âmes dont vous avez la charge. Songez-y, si l’erreur continuait à se propager dans l’ombre, nous serions obligé de recourir à des mesures de rigueur, voulant que ce royaume soit ramené à l’église, quelque prix qu’il en coûte. Ne vaut-il pas mieux se soumettre de bonne grâce que céder à la force ? »

Telle fut la conclusion de ces mémorables scènes. Pie II, qui connaissait si bien la Bohème, effaçait d’un trait de plume quarante années de son histoire, au risque de réveiller les fureurs que le concile de Bâle était venu apaiser. N’avait-il pas vu de ses yeux avec quelle facilité un peuple est poussé au fanatisme lorsque des gens qui valent moins que lui essaient de lui arracher sa foi ? ou bien croyait-il que l’ardeur des vieux hussites était à demi éteinte chez leurs enfans, et qu’il suffisait d’un coup d’état pour l’étouffer sans retour ? Mais ces événemens mémorables soulèvent de bien autres questions. Pourquoi les fils des vieux hussites ne sont-ils pas plus conséquens avec eux-mêmes ? Pourquoi, repoussant l’autorité de Rome, veulent-ils rester dans l’église catholique ? D’où vient qu’ils n’osent pas se séparer ? ou plutôt d’où vient que l’idée d’une séparation est aussi douloureuse pour eux que l’idée d’une soumission absolue ? Avant les profondes études de M. Palacky, on regardait les hussites comme des précurseurs de Luther. Cela est faux, cela n’est vrai du moins qu’avec bien des explications et des nuances. À la lumière des faits nouveaux révélés par l’historien de la Bohême, tout un ordre de pensées se déroule devant nous ; il faut bien les résumer en quelques mots avant de continuer notre récit. On comprendra mieux tout ce qui va suivre.

Quand nous lisons aujourd’hui ces scènes d’un autre âge, il nous est difficile d’en apprécier l’importance et de les juger d’une manière équitable. Certes, à première vue, on ne peut donner tort à Pie II quand il dit aux hussites : « Choisissez ! » On est forcé d’approuver sa logique, et même sur plusieurs points son esprit de sagesse ; je mets à part la versatilité de sa conduite, je ne pense plus à Æneas Sylvius, mais au pape. Le pape avait-il tort de répéter : « Décidez-vous ! » et les hussites avaient-ils le droit de répondre : « Nous voulons être hussites et catholiques tout ensemble ? » La logique n’est-elle pas du côté du pontife de Rome ? La contradiction n’est-elle pas chez les chrétiens de Bohême ? Prenez garde : si vous allez au fond des choses, vous verrez que l’opposition des Tchèques ne ressemble pas à celle qui éclatera bientôt avec Luther ; elle renfermait,