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pris un Bohémien pour notre roi, si ce Bohémien ne songe qu’à se faire Allemand ? » La trahison semblait si manifeste, l’irritation générale était si vive, que maître Rokycana lui-même, l’archevêque élu des hussites, l’ami, le champion, l’ancien compagnon d’armes du roi, commença des prédications contre lui. Averti par cette explosion populaire, le roi George comprit la faute qu’il avait commise. Il renonça pour toujours à la direction des affaires d’Allemagne, et resta roi de Bohême. Martin Mayr, l’auteur du plan qui venait d’échouer, fut obligé de quitter la cour de Prague ; son départ avait presque l’importance d’une révolution ministérielle dans un gouvernement libre : il annonçait tout un changement de politique.

Au moment où George de Podiebrad, élu roi de Bohême, avait dû prêter serment de fidélité à l’église catholique, le saint-siège était occupé par un vieux prêtre espagnol, Alphonse Borgia, dont il y aurait peu de chose à dire, s’il n’avait eu le malheur de frayer la route à son neveu Alexandre. Il est impossible de prononcer ce nom sans se rappeler les hideuses souillures du trône de saint Pierre. L’oncle d’Alexandre VI était pourtant un souverain respectable, et s’il songea un peu trop à enrichir sa famille, il montra en général beaucoup de modération et de sagesse dans son gouvernement. Ni Calixte III (tel était le nom d’Alphonse Borgia comme souverain pontife), ni son prédécesseur Nicolas V, n’avaient continué la politique altière d’Eugène IV. Maintes questions que ce dernier, en vrai patricien de Venise, avait prétendu résoudre par la violence ou la ruse, étaient demeurées pendantes au moment de sa mort ; telle était la question des compactats. Les concessions accordées aux hussites par le concile de Bâle et promulguées à Iglau d’une manière si solennelle étaient-elles respectées par la cour de Rome ou reniées à jamais ? Personne ne le savait exactement. Si Eugène IV avait décrété l’annulation de tous les actes du concile de Bâle, de son côté, on l’a vu, le concile de Bâle avait déposé Eugène IV ; or, à la date où nous sommes, le concile, bien que dispersé depuis longtemps, avait encore des partisans nombreux, soit parmi les théologiens allemands, soit dans notre église gallicane et à l’université de Paris. Les deux successeurs d’Eugène IV évitèrent donc de se prononcer, et peut-être était-ce le meilleur moyen d’effacer le souvenir d’une période scandaleuse, car enfin comment toucher à ces questions sans rappeler au monde chrétien ces deux papes et ces deux conciles se jetant tour à tour l’anathème ? Lorsque Calixte III, acceptant de Podiebrad un serment assez vague, feignait d’ignorer le serment très explicite par lequel le nouveau roi de Bohême l’engageait devant son peuple à maintenir la décision du concile, le vieux pontife obéissait à une inspiration très sage et presque à un scrupule de conscience. Bientôt cependant allait venir un pape moins scrupuleux.