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européenne ; il avait des vues hardies, des vues neuves et fécondes, qui ne devaient être réalisées que par le progrès des siècles. Le grand projet qui occupa les dernières années d’Henri IV, l’idée de constituer un tribunal de souverains qui réglerait pacifiquement les querelles des états, fut l’objet des méditations de Marini, et il y cherchait surtout un moyen de soustraire peuples et rois à la tutelle du saint-siège. L’émancipation politique de l’Europe était la pensée dominante de l’audacieux légiste. Antoine de Marini a été tour à tour au service de Louis XI et de George de Podiebrad. Louis XI lui confia plusieurs missions secrètes, d’abord auprès des Vénitiens, puis auprès des rois de Pologne et de Hongrie ; le roi de Bohême le garda longtemps à sa cour, en fit son conseiller, on dirait aujourd’hui son ministre des affaires étrangères, et se fit représenter par lui de 1460 à 1464 auprès des principales puissances de l’Europe. Les deux autres jurisconsultes qui joueront un rôle important dans cette histoire, et qu’on voit paraître des le commencement du règne de Podiebrad, sont Martin Mayr et Grégoire de Heimbourg ; Allemands tous deux, dignes émules d’Antoine de Marini pour l’étendue de la science comme pour la hardiesse des pensées, ils seront surtout les champions de l’esprit germanique contre la cour de Rome. À quelle époque Antoine de Marini est-il devenu un des conseillers du roi George ? On l’ignore. Grégoire de Heimbourg ne devait entrer en scène que plus tard ; quant à Martin Mayr, c’est à la date même où nous sommes, c’est aux fêtes d’Égra, en novembre 1459, qu’il vit le roi George pour la première fois, et que, frappé de son génie politique, il conçut pour lui l’ambition la plus haute.

Martin Mayr était ardemment dévoué à sa patrie, et la honte de l’empire lui faisait monter le rouge au visage. Il écrivait un jour, dans son latin énergique : « C’est en vain qu’on poussera les Allemands à la guerre contre les Turcs, tant qu’ils se redouteront les uns et les autres » L’empire est tellement ébranlé de toutes parts, qu’il n’en reste plus deux fragmens qui se soutiennent, C’est une guerre perpétuelle, guerre des princes contre les villes, guerre des villes contre les princes, et il n’est si mince personnage qui ne se permette de défier son voisin. Aussi d’un bout de l’Allemagne à l’autre pas un coin où se soient réfugiés le repos et la sécurité ; partout des embûches, partout la spoliation et le meurtre. Le clergé même ne connaît plus la paix ; la noblesse ne connaît plus l’honneur. L’Allemagne a horreur de ces meurtres, de ces brigandages sans fin : elle veut la paix ; seulement cette paix qu’elle désire, elle ne cherche pas les moyens de l’établir. Sans la justice en effet, nulle paix à espérer, la justice seule assure le repos des états ; mais à quoi sert de promulguer des lois, de consacrer des tribunaux, de