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pape, à l’empereur, à tout le collège des électeurs, demandant que la cour romaine ne permît pas le couronnement du vieil ennemi de la foi catholique, et que les électeurs ne l’admissent point parmi eux. Le margrave de Brandebourg, Albert-Achille, un des personnages les plus considerables de l’époque, avait signé avec eux cette protestation menaçante. En même temps une résistance tumultueuse s’organisait dans les états qui reconnaissaient la suzeraineté du royaume de Bohême ; ces pays de la couronne, comme on les appelait (kronländer) c’était la Moravie à l’est, la Silésie au nord, deux contrées slaves à l’origine, mais envahies par l’élément germanique, et où les dissidences religieuses se compliquaient de violentes haines nationales. On sait que les Allemands du XVe siècle, ceux-là mêmes qui devaient, soixante ans plus tard, se lever si impétueusement aux cris de Luther, les Allemands de la Saxe, de la Thuringe, du Brandebourg, partageaient toutes les passions de l’Autriche et de la Bavière contre le chef des hussites. C’étaient ces Allemands, devenus les maîtres en Moravie, en Silésie surtout, par la supériorité de la culture morale et l’avantage de la richesse, qui préparaient une insurrection contre le roi George.

La situation était grave ; George, appuyé sur son peuple, fit face à tous les périls avec autant de calme que de résolution. Les Bohémiens, on l’a vu, étaient accoutumés à paraître dans les parlemens ; les grands colloques publics ne les effrayaient pas plus que la mêlée des champs de bataille. Le roi envoya de tous côtés ses orateurs, et comme ces braves gens avaient le droit de parler en leur nom aussi bien qu’au nom de leur élu, c’était vraiment la Bohême qui se levait avec eux, revendiquant son indépendance à la face de l’empire. L’affaire la plus urgente était d’arrêter la sédition dans les pays de la couronne : les députés bohémiens réussirent à diviser les Allemands et les Slaves à la diète de Moravie, si bien que les Slaves, sous certaines conditions, et malgré les colères des Allemands, promirent d’assister au couronnement du roi. Avec les Silésiens, les envoyés de George s’appliquèrent surtout à gagner du temps, et la Silésie en effet résolut d’attendre la décision du saint-siège ; les esprits se calmaient, excepté dans la ville de Breslau, où la haine des hussites était entretenue depuis bien des années par des prédicateurs fanatiques. Le roi se réservait d’aller châtier ses ennemis dans Breslau même aussitôt qu’il porterait la couronne. En ce moment, ses affaires réglées ou à peu près, ayant reçu d’ailleurs quelques bonnes paroles du légat du pape, le cardinal Carvajal, il avait hâte de procéder à la cérémonie du couronnement.

C’était l’archevêque de Prague qui couronnait les rois de Bohême ; or on sait que depuis plus de vingt ans il n’y avait pas d’archevêque à Prague, le prélat nommé par les hussites, maître Rokycana,